Le compte de la « masse des mandants » du syndic professionnel ; utopie ou remède  ?

 

 

Il est inutile de développer ici les difficultés et controverses relatives à la mise en œuvre du principe légal de la gestion des fonds des syndicats de copropriétaires par le truchement d’un compte bancaire séparé ouvert au nom de chacun des syndicats administrés par un syndic professionnel.

La loi SRU du 13 décembre 2000 l’a inscrit au fronton du statut mais comporte une dérogation. Elle permet à l’assemblée générale de dispenser le syndic d’ouvrir un compte séparé et de continuer à gérer les fonds par compte unique ouvert à son nom. Certains syndicats ont accordé jusqu’à présent cette dispense avec une grande libéralité.

 

Les banques ont élaboré des mécanismes divers permettant aux syndics de les proposer faussement comme des comptes séparés. Ils se présentent généralement sous la forme d’un compte ouvert au nom du syndic mais comportant autant de sous-comptes ouverts respectivement au nom de chacun des syndicats mandants. Ces sont les comptes « individualisés ».

Ils facilitent très certainement les opérations de gestion financière et comptable du syndic. C’est un avantage certain qu’il faut retenir.

Ils permettent en outre au syndic de percevoir en toute légalité, si le contrat de syndic comporte une clause à cet effet, la rémunération globale des fonds déposés. Il a la possibilité d’abaisser le montant de ses honoraires de gestion courante et de se présenter ainsi en meilleure position comme candidat à l’occasion d’un appel d’offres pour un nouveau mandat, au détriment de confrères gérant par comptes séparés, et privés de la ressource importante procurée par la rémunération des fonds déposés.

 

La Cour de cassation vient de sanctionner à plusieurs reprises ces pratiques. Les arrêts qu’elle a rendus permettent de constater que ces comptes individualisés sont de plus assortis parfois de clauses diverses pouvant porter préjudice aux syndicats administrés.

On peut citer en premier lieu l’arrêt rendu le 17 janvier 2006 par la Chambre commerciale, après avis de la 3e Chambre civile (voir l’arrêt). Dans ce cas l’ouverture des sous-comptes avait été assortie d’une convention de fusion. Un syndicat n’ayant pas renouvelé le mandat du syndic titulaire du compte unique « individualisé » n’avait pu récupérer effectivement en 1991 que 68.827,75 francs alors que la situation de trésorerie faisait apparaître un solde de 177 041,25 francs !

La décision est suffisamment importante pour avoir été publiée avec une note de la Cour de cassation que nous reproduisons :

 

Note sous Com., 17 janvier 2006, n° 729

 

« Il est acquis, et la jurisprudence est bien fixée, que, dès lors qu'un titulaire de compte bancaire demande l'ouverture de sous-comptes destinés à enregistrer des fonds appartenant à des tiers et que la banque ne saurait ignorer soit en raison de circonstances d'espèce, soit de la réglementation soit de l'activité professionnelle de son client, qu'une convention de fusion de ces comptes nécessite l'accord de ses mandants pour qu'elle puisse être mise en oeuvre sans être fautive vis-à-vis de ceux-ci.

« La question posée à la Cour de cassation était de savoir dans quelle mesure, en l'état de la législation alors applicable, c'est-à-dire conforme à l'article 18, alinéa 1, tiret 6, de la loi du 10 juillet 1965 dans sa rédaction applicable en 1991, la circonstance que le syndicat de copropriétaires n'avait pas demandé l'ouverture d'un compte séparé à son nom, était suffisante pour établir la preuve d'un tel accord.

« Un syndicat de copropriétaires avait assigné en 1994 en responsabilité une banque qui avait fusionné deux comptes qui, selon lui, étaient des comptes de copropriété distincts et qui avaient été ouverts dans ses livres par le syndic de copropriété, après avoir relevé qu'il ne lui avait été représenté en 1991qu'une somme de 68 827,75 francs au lieu de 177 041,25 francs.

« La chambre commerciale a jugé que cette circonstance, non-justification de la demande par le syndicat de l'ouverture d'un compte à son nom, n'était pas suffisante pour établir un tel accord à la convention de fusion litigieuse. Elle en a décidé ainsi, après avoir considéré que l'avis de la troisième chambre civile devait être sollicité, s'agissant d'un syndic de copropriété et compte tenu d'un arrêt du 19 janvier 1994, Bull., III, n° 8, pourvoi n° 90-21.929 qui avait rejeté, dans des circonstances similaires, l'action en paiement du syndicat à l'encontre de la banque. Cet arrêt avait été critiqué (Dalloz 1994-11-24, n° 41, p. 576, note D.R. Martin). Pour sa part, la chambre commerciale avait jusqu'alors jugé qu'il appartenait au juge du fond de rechercher, dans chaque cas, par une appréciation souveraine, quelle avait été la volonté des parties (V. Com., 4 octobre 1994, pourvoi n° 91-22.038, 18 février 1998, Bull., n° 64) "en sorte que le juge puisse, dans chaque cas d'espèce, rechercher la réalité par-delà l'apparence des qualifications" (note J-P. Dumas, Petites Affiches, 14 avril 1994).

« Si la convention de fusion, selon les syndics, permet de diminuer les frais de gestion, elle présente des risques pour les syndicats de copropriétaires, de ne pas se voir restituer la somme déposée sur le sous-compte soit en raison des effets de la fusion avec d'éventuels soldes de sous-comptes débiteurs, soit en raison du risque de saisie sur le compte du syndic, soit encore en raison du risque de la perte des fruits civils.

« L'absence de demande d'ouverture d'un compte à son nom, au regard du risque encouru, est donc insuffisante pour s'assurer que le syndicat a donné un consentement éclairé aux avantages et inconvénients consécutifs à la fusion des sous-comptes.

« On peut penser que la nouvelle rédaction de l'article 18, alinéa 1, tiret 7, issue de la loi SRU du 13 décembre 2000 qui énonce que le syndic est tenu d'ouvrir un compte séparé au nom du syndicat sauf si l'assemblée générale l'en dispense, ne devrait pas être de nature à modifier le sens de cette décision. »

 

 

Dans l’affaire traitée par l’arrêt du 1er mars 2006 (voir l’arrêt), les sous-comptes étaient assortis d’une convention de compte-courant. La banque ayant débité des agios débiteurs au titre d’un sous-compte, le syndic avait appelé le syndicat en garantie pour lui faire supporter la charge définitive des agios. La Cour de cassation énonce :

 

« Attendu que pour condamner le syndicat à garantir la société G. des condamnations prononcées à son encontre, l’arrêt retient que le syndicat qui se reconnaît débiteur du principal ne peut sérieusement contester être débiteur des intérêts ;

« Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que le titulaire du compte était la société G. , et que le syndicat soutenait que la convention de compte courant lui était inopposable et qu’il n’était pas redevable des intérêts, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; »

 

et dégage ainsi le syndicat de toute obligation au remboursement des agios.

 

Aux interventions jurisprudentielles, il faut ajouter celle de la Commission relative à la copropriété du Ministère de la Justice qui, en sa 22e recommandation (voir le texte), a fait clairement le point des modalités d’application de l’article 18 de la loi du 10 juillet 1965.

 

 

Il est certain qu’à ce jour un certain nombre de syndics, -et parmi eux il en est d’excellents-, se trouvent en situation irrégulière pouvant aboutir à la constatation de la nullité de plein droit de leurs  mandats.

Il n’est pas question ici de clamer le haro [1], surtout quand on connaît l’évolution des textes réglementaires depuis l’époque de la taxation administrative des honoraires. Tout a été fait depuis cinquante ans contre les syndics professionnels pour générer les difficultés actuelles. Il s’agit de rechercher un mécanisme qui permettrait de concilier les avantages techniques du compte unique avec sous-comptes et le légitime souci de la sauvegarde des intérêts des syndicats mandants et des copropriétaires qui en sont membres.

 

Il est légalement possible de constituer les syndicats mandants d’un syndic professionnel déterminé en une « masse des mandants » du dit syndic. On a l’exemple de la « masse des créanciers » de l’ancien régime des faillites. La Cour de cassation a reconnu sa personnalité morale par un arrêt de la Chambre commerciale du 17 janvier 1956 publié au Bulletin de la Cour de cassation n° 27.

Les « collectifs » éphémères sont suffisamment entendus en hauts lieux pour qu’on puisse songer à une institution collective légalement structurée, serait-elle inhabituelle.

La « masse des mandants du syndic » serait titulaire d’un compte bancaire unique comportant autant de sous-comptes que de syndicats administrés.

Ainsi se trouverait réglé l’un des problèmes les plus épineux : l’indépendance des fonds déposés par rapport au syndic. Dans le système actuel, il est, pour le moins, « maître » des fonds, nonobstant la réglementation spécifique du compte unique. L’obligation qu’il a par ailleurs de les « représenter à tout moment » ne peut occulter cette dépendance.

 

Sur le plan technique le banquier pourrait tout à la fois éditer périodiquement les relevés de chacun des sous-comptes, mais aussi présenter avec la même périodicité une balance générale de l’ensemble du compte unique mentionnant exclusivement les numéros des sous-comptes afin de respecter l’obligation de confidentialité, les totaux des mouvements et les soldes.

Le regroupement organisé des sous-comptes permettrait au syndic d’utiliser plus facilement les traitements informatisés couplés avec ceux de la banque, pour les opérations électroniques.

Les conseils syndicaux auraient accès, d’une manière ou d’une autre, à la balance générale. Ils y trouveraient des assurances qu’ils ne peuvent présentement avoir quant à l’absence de positions débitrices. On sait que la présence d’une seule position débitrice implique une insuffisance de la représentation des fonds. En l’absence de position débitrice, la contestation par un syndicat du montant de sa trésorerie ne peut avoir d’incidence préjudiciable pour les autres syndicats. La contestation reste cantonnée aux rapports entre le syndicat concerné et le syndic.

 

 

Sur le plan juridique, le dispositif imposerait des dispositions assurant à chaque syndicat mandant des droits équivalents à ceux qu’il peut avoir sur un compte séparé, notamment celui de retirer les fonds en cas de changement de syndic. Elles maintiendraient également les droits de tout créancier du syndicat sur le solde disponible dans le cas d’une saisie-attribution par exemple.

On ne peut négliger le problème posé par la représentation légale de la « masse des mandants ».

En laisser le soin au syndic peut paraître contraire au souci primordial d’assurer l’indépendance de la masse. Mais la facilitation des contrôles, et leur extension à l’ensemble des comptes devraient réduire considérablement les risques.

De toute manière, la masse des mandants, malgré la modestie de ses activités devrait être dotée d’une organisation simple, souple et peu coûteuse et notamment d’un conseil pouvant intervenir rapidement en cas de nécessité pour obtenir des mesures de sauvegarde.

On peut bien entendu concevoir la tenue d’assemblées générales de la masse auxquelles chaque syndicat serait représenté par un membre du conseil syndical.

 

Au niveau des garanties, il faut noter que la généralisation des comptes séparés devrait s’accompagner d’une modification du régime de la garantie financière. En effet, le syndic n’est plus tenu alors de « représenter » des fonds qu’il ne détient pas. Les risques consistent alors dans des prélèvements excessifs d’honoraires, des erreurs de traitement et, dans les cas les plus graves, des détournements de fonds.

La garantie reste nécessaire mais elle est d’une autre nature.

 

 

Sur le plan commercial et financier, la masse serait mieux placée pour discuter avec le banquier. Le mécanisme permettrait de faire disparaître les différents frais qui affectent les comptes séparés et il serait possible d’obtenir une rémunération globale des fonds déposés à répartir entre les syndicats mandants.

 

 

Du point de vue des syndics professionnels, l’adoption du mécanisme entraînerait la disparition d’un flux de revenus. Cette disparition est en toute hypothèse inéluctable car il ne sera pas possible de laisser longtemps survivre des pratiques illégales et effectivement condamnées par la jurisprudence. Bénéficiaires aujourd’hui, les syndics seraient rapidement les premières victimes de leur survivance artificielle.

L’apparition de groupes financiers importants dans notre branche n’est pas condamnable en soi. Elle peut favoriser le développement par certains groupes de méthodes de gestion appropriées à des secteurs particuliers de la clientèle, notamment les grands ensembles. Rappelons que les professionnels immobiliers peuvent proposer leurs prestations dans de nombreux domaines voisins : associations syndicales libres, ensembles en volumes, résidences-services, etc.

Il en va différemment pour les groupes qui font prévaloir ouvertement la fructification des fonds gérés. Ils se tourneront vraisemblablement vers d’autres sources de profit si l’on en revient à la légitime et décente rémunération des prestations fournies.

L’activité de syndic sera ouverte à nouveau à des professionnels indépendants qui assureront l’administration des syndicats de taille plus humaine.

Entre les uns et les autres la concurrence sera plus libre et régulière, faisant une meilleure place à la qualité des prestations. Elle est actuellement faussée dès lors que les uns conservent la rémunération des fonds déposés tandis que les autres ne vivent que de leurs honoraires.

 

Notre suggestion est embryonnaire. Il nous semble certain qu’un mécanisme intermédiaire de gestion des fonds de mandants  est souhaitable, dans l’intérêt commun des professionnels et des copropriétaires.

Tout cela mérite réflexion.

 

 

 

 

 

Mise à jour

08/05/2006

 

 



[1] La clameur de haro était une institution juridique ancienne qui permettait à tout témoin d’une atteinte à la personne ou aux biens d’intervenir et demander à grands cris l’assistance des personnes proches. Elle subsiste de nos jours sous la forme du flagrant délit qui permet la poursuite par la clameur publique.