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syndic de copropriété professionnel

 

Droit de présentation ou fusion-absorption

 

transmission de clientèle et « intuitus personae »


Jean-Pierre Mantelet   DES Droit Privé 
©

 

Mise à jour du 20/05/2013

Voir sur cette question

l’arrêt de la Cour de cassation du 29 février 2012

et l’étude 2-2-1-1 : Mandat social du syndic professionnel

 

Cette étude, consacrée aux difficultés générées par les regroupements de cabinets d’administrateurs de biens, et au prétendu transfert des mandats de syndic, vient à la suite de l’insertion des réponses ministérielles du 14 septembre 1998 (n° 16177) et du 24 mai 2005 (n° 49253) et de l’arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 1998.

Son titre exige quelques éclaircissements dans la mesure où nous la souhaitons accessible à un nombre aussi grand que possible de copropriétaires et non pas seulement à des juristes spécialisés.

 

La « présentation de clientèle » est un mode ancien de transmission rémunérée d’une clientèle qui est spécifique aux professionnels libéraux exerçant en nom propre. Le médecin cessant son activité ne peut pas imposer à ses patients de continuer avec son successeur. Mais il peut le leur présenter avec l’espoir qu’un lien de sympathie et une présomption de confiance apparaîtront dès le premier abord et que la qualité des diagnostics et des soins fera le reste.

On perçoit ainsi d’emblée le problème du « lien de confiance », assez mystérieux lorsqu’il n’est pas fondé sur des relations antérieures. Les juristes parlent alors de l’intuitus personae. Dupont contracte avec Durand parce qu’il le sait droit et honnête. Il ne signerait pas même contrat avec Dubois, qu’il sait procédurier. Il contracte intuitu personae,  en considération de la personne.

L’intuitus personae du droit ancien ne peut trouver un fondement sérieux que dans l’expérience préalable des qualités d’une personne déterminée. C’est en général une expérience personnelle, mais elle peut résulter aussi d’indications fournies par un tiers ayant également la confiance de Dupont.

 

A l’opposé, la fusion-absorption est un mode de transmission spécifique aux sociétés commerciales. Nous sommes alors en présence de personnes morales. On parle de transmission universelle, comme dans le droit des successions. Comme le patrimoine du de cujus (le défunt) passe intégralement, actif et passif, créances et dettes, dans le patrimoine de l’héritier ou du légataire universel, le patrimoine de la société absorbée passe dans celui de la société absorbante.

Celle-ci reprend de plein droit la clientèle captive, liée par des contrats d’entretien en cours par exemple. Mais les clients peuvent résilier périodiquement les contrats ou ne pas les renouveler. Il y a aussi des clients libres de leur choix. A la société absorbante de faire en sorte de conserver la clientèle qui, sauf cas particuliers, n’aura pas été informée préalablement.

 

Il y a, entre ces deux solutions extrêmes, des modes intermédiaires de transmission de clientèle. Nous les évoquerons sommairement plus loin.

 

La fusion-absorption n’assure pas la transmission des mandats de syndic

Dans son arrêt du 10 novembre 1998 la Cour de cassation a jugé que le caractère universel de la transmission de patrimoine générée par une fusion-absorption trouve ses limites dans la sauvegarde des prérogatives exclusives de l’assemblée générale des copropriétaires appelés à faire choix d’un syndic. (Voir l’arrêt)

Nous avons indiqué dans notre commentaire qu’il est possible de parachever ce raisonnement en invoquant la notion de fraude à la loi et en justifiant l’ensemble par le caractère civil de l’activité de syndic, même exercée par une société commerciale.

L’arrêt est important mais, dans la pratique, les opérations de fusion-absorption de poursuivent de manière généralement irrégulière. Il peut en résulter préjudice pour les syndicats et, d’un autre côté, la faculté de cession des cabinets ne peut être contestée en son principe.

 

Les travaux de la doctrine et des professionnels

Ces questions importantes pour les copropriétaires ont déjà été traitées par des spécialistes de haut niveau. Notre propos est de faire connaître ces recherches.

Le commentaire fait par le Professeur Tomasin de l’arrêt du 10 novembre 1998 nous a incité à reprendre les travaux du XXXVIIe congrès de la Confédération nationale des administrateurs de biens (CNAB) tenu en octobre 1998. Le thème de ce congrès était : « Être administrateur de biens au XXIe siècle ». M. Tomasin y a apporté son concours, en l’excellente compagnie de Madame Caroline Jaffuel, à l’époque magistrate au bureau du droit immobilier de la Chancellerie et de M. Capoulade, Conseiller à la Cour de cassation, notamment.

Les actes de ce congrès figurent dans le numéro 306 (décembre 1998) de la revue Administrer.

 

Une organisation professionnelle des administrateurs de biens

Le Professeur Tomasin a présenté un rapport sur « la création d’une organisation professionnelle des administrateurs de biens ».

C’est une vieille affaire !

Une proposition de loi des 6 décembre 1967 et 17 juillet 1968 présentée par M. Cousté, député, prévoyait la constitution d’un ordre national des agents immobiliers, mandataires en fonds de commerce, administrateurs de biens et syndics de copropriété.

Elle était en concurrence avec la proposition de loi de M. Hoguet qui prévoyait seulement une réglementation de ces activités professionnelles sans création d’un ordre national.

C’est cette seconde proposition qui l’a emporté. Le rapporteur, M. Labbé, a fait valoir qu’il n’était pas concevable d’organiser en ordre une profession commerciale comme celle des agents immobiliers. La remarque était sage. Le secteur des professions immobilières souffre de la confusion persistante entre les activités civiles et les activités commerciales. Elle est aggravée par le classement de la gestion locative parmi les activités, de nature commerciale, des agents d’affaires. Ce classement est désormais anachronique.

 

Périmètre d’une organisation professionnelle

M. Tomasin s’est efforcé de définir le périmètre d’une organisation professionnelle nouvelle. Il note : « Traditionnellement on considère que les professions réglementées, qui sont libérales, se caractérisent par un rapport de confiance avec leurs clients alors que les professions commerciales ont au contraire un esprit de lucre et de profit incompatible avec l’esprit des professions libérales réglementées ». Mais, prenant l’exemple des pharmaciens, scientifiques et commerçants, il remarque que le compartimentage n’est pas totalement étanche.

De même, les géomètres-experts, les notaires, les architectes, professionnels libéraux, peuvent avoir une activité de gestion immobilière.

Une solution serait alors de réduire le périmètre de l’organisation aux seuls administrateurs de biens. Elle pourrait, pour M. Tomasin, être « ressentie comme une mesure de défiance et de dévalorisation  par les agents immobiliers ».

Une autre serait de permettre aux membres de cette organisation, assujettis à ses règles pour la seule activité d’administration de biens, de disposer d’une carte professionnelle pour faire des opérations de transactions.

C’est, à notre avis, un faux problème. Les vrais gestionnaires ne pratiquent les transactions immobilières que par nécessité. La difficulté disparaît dès lors que la rentabilité des activités de gestion est décente.

Les qualités requises pour ces deux catégories d’activités sont fondamentalement différentes. Un bon vendeur vend n’importe quoi. La formation professionnelle a pour fonction ici de modeler la « tripe ». A ce don particulier on peut opposer la vocation du gestionnaire, sans vouloir établir la moindre hiérarchie entre ces qualités aussi respectables l’une que l’autre.

De toute manière, le périmètre d’une nouvelle organisation professionnelle devrait à notre avis être aux seules activités de gestion immobilière, dotées d’une formation professionnelle spécifique, tant initiale que continue.

 

La formation professionnelle

Dans les travaux du congrès on retrouve cette distinction à propos de la formation professionnelle précisément. Madame Jaffuel s’interroge   Ne vaudrait-il pas mieux cerner les métiers concernés pour avoir une formation plus adaptée et ne pas se préoccuper uniquement d’un niveau académique ? » et encore : « faut-il exiger le même niveau pour les professionnels qui font de la transaction et ceux qui font de la gestion ? » Ces deux questions sont parfaitement judicieuses.

 

M. Tomasin, évoquant les cabinets importants, émet le vœu de distinguer la formation des dirigeants et celle des collaborateurs, notamment les gestionnaires de copropriété. La question intéresse particulièrement les copropriétaires. Les gestionnaires sont leurs partenaires. Ils administrent les syndicats, tiennent les assemblées, viennent sur le terrain. Leur qualification est primordiale ; Un cabinet important peut être choisi comme syndic parce qu’il a la réputation de sélectionner rigoureusement ses gestionnaires et de leur assurer une formation continue de bonne qualité. Il ne s’agit plus alors de l’intuitus personae mais de la fama, l’ouï-dire, la bonne indication transmise par le « bouche à oreille ».

 

Ces considérations amènent Mme Jaffuel à évoquer les sociétés d’exercice libéral, qui « permettent, dans les ordres professionnels, d’avoir une société dont une partie du capital est détenue par des non-professionnels » Ceux-ci demeurent minoritaires car « il ne faut pas que ce soit ceux qui détiennent l’argent, le capital social, qui puissent donner des instructions ». Elle estime en conséquence qu’il faut que les représentants légaux du cabinet ou de la personne morale qui est syndic de copropriété aient une aptitude ». Ajoutons qu’elle pense manifestement à une aptitude professionnelle dans la branche.

 

Mandat d’hier ; mandat d’aujourd’hui

Enfin, le Professeur Tomasin rappelle que la notion d’intuitus personae est retenue parce que le lien juridique entre l’administrateur de biens et le bailleur est un mandat et qu’il en est de même à l’égard d’un syndicat de copropriétaires. Mais il montre que le mandat de nos jours n’est plus ce qu’il était au temps de la rédaction du Code civil, établi alors le plus souvent entre personnes physiques. La plupart des mandats de syndics sont établis entre un syndicat personne morale et une société exerçant une activité immobilière.

Il interroge : « Quels sont les éléments dont vous disposez pour juger de la confiance que vous pouvez apporter à une personne morale ? C’est bien entendu son état économique, si elle est cotée en bourse. C’est bien entendu l’organisation hiérarchique au sein de cette personne morale. Ce sont là des éléments nouveaux que des personnes physiques ont de la difficulté à juger, si elles ne sont pas initiées. »

C’est dans l’amélioration du niveau de formation professionnelle des personnels qui sont chargés de la gestion des copropriétés, au sein de ces personnes morales, qu’il faut trouver la possibilité d’établir « un contact presque physique, en tout cas une connaissance, un élément qui permette au public, c’est à dire aux copropriétaires, de savoir apprécier quelle est la valeur humaine, professionnelle de ces gérants de copropriété ».

 

Enseignements à tirer de ces interventions

Ces interventions apportent un éclairage nouveau aux deux notions connexes que sont le mandat et la relation de confiance. Elles présentent des pistes de recherche pour leur adaptation, sans dénaturation, à l’évolution du secteur immobilier.

 

Le mandat du Code civil est celui conféré par Dupont à Durand, deux personnes physiques. Dupont a déjà apprécié l’efficacité et l’honnêteté de Durand. Il a confiance en lui. C’est l’intuitus personae du droit romain parvenu au XIXe siècle.

 

La désignation du syndic par l’assemblée

De nos jours les syndicats des copropriétaires sont invités à confier des mandats de syndic à des sociétés anonymes. Il s’agit de deux personnes morales.

Du côté du syndicat, la décision est collective, mais ce sont des personnes physiques que les candidats doivent séduire. Elles n’ont généralement d’autre solution que de s’en rapporter aux avis du conseil syndical, encore qu’une voix autorisée puisse s’élever parmi les participants à l’assemblée. C’est le bénéfice du débat préalable au vote.

Dans certains cas, les candidats à un mandat de syndic sont invités à un « tour de piste », expression courante. Ils sont priés de comparaître successivement devant les copropriétaires réunis en assemblée et disposent de dix minutes chacun pour se présenter en vanter la qualité de leurs prestations. Il y a parfois un « coup de foudre » en faveur de l’un d’eux ! Parfois aussi un coup d’antipathie !

Il est vrai que l’intuitus personae ne peut alors venir que des informations recueillies. Les copropriétaires d’un immeuble voisin auront vanté le bon fonctionnement de la société X, les bons rapports qu’ils entretiennent avec leur gestionnaire. Il connaît bien les règles du statut de la copropriété et les applique systématiquement. Il est attentif aux observations qui lui sont faites et contrôle la bonne exécution des travaux d’entretien. C’est la fama, le bouche à oreille.

Dans tout cela, aucune expérience personnelle au niveau de l’assemblée. Elle accorde sa foi, sa confiance, à l’un des candidats en fonction d’informations dont les plus fiables sont celles fournies par les voisins et, à la rigueur, par le conseil syndical. L’intuitus personae est alors cet élan soudain qui va se traduire par un vote et l’établissement d’un mandat social.

La relation de confiance ainsi créée est sensée se poursuivre tout au long de la durée du mandat qui en est le soutien juridique. Il est souhaitable évidemment qu’à cette fiction corresponde la réalité d’une relation de bonne qualité.

Ce tableau psychosociologique colle parfaitement aux mécanismes du statut juridique de la copropriété. Les copropriétaires ont été convoqués en assemblée. Ils ont été informés. Ils ont pu débattre. Le vote a généré une décision collective accordant la confiance à l’un des candidats. Le mécanisme majoritaire fait que les votes des plus nombreux s’imposent à la minorité. Le nouveau syndic sera quand même « le syndic de tous les copropriétaires ».

 

Justification du rejet du transfert du mandat par la fusion-absorption

Il est, dans la pratique, parfaitement normal que l’état de droit ainsi établi ne soit pas brutalement bouleversé par l’effet d’une fusion-absorption étrangère aux copropriétaires, qui viendrait substituer purement et simplement la désignation comme syndic d’une entité nouvelle et inconnue à celle régulièrement décidée par l’assemblée juridique.

Dans le même genre, notre droit connaît les droits extra-patrimoniaux de la personne, auxquels nul ne peut porter atteinte. On dit d’un droit extra-patrimonial qu’il n’est pas « dans le commerce ». Un éditeur jouit des droits sur une œuvre littéraire qui résultent d’un contrat passé avec l’auteur mais il ne peut pas porter atteinte à l’intégrité de cette œuvre sans violer le droit moral que conserve l’auteur. Il ne peut pas sortir une nouvelle édition de l’ouvrage comportant des modifications du texte.

Pareillement, le droit qu’a le syndicat des copropriétaires de désigner son syndic n’est pas « dans le commerce ». L’assemblée elle-même ne peut en disposer en déléguant au conseil syndical le choix du syndic. Elle a sur ce point une compétence exclusive.

 

Il est donc incontestable que le transfert du mandat de syndic à la société absorbante exige une décision préalable de l’assemblée générale.

On ne peut se contenter d’une ratification postérieure, sauf dans le cas où l’assemblée aurait été convoquée par la société absorbée ayant encore qualité de syndic avant l’exécution des formalités de publicité au Registre du commerce.

 

 

Les aléas de la relation de confiance avec une personne morale

Les copropriétaires doivent savoir que la rigueur de cette solution laisse place à la réalisation régulière d’autres opérations qui, de fait, peuvent se présenter comme un changement de syndic. Un changement radical de l’actionnariat d’une société anonyme ne prive pas cette société de la conservation de ses mandats de syndic. Une réponse ministérielle fait justement observer que la personne morale n’est pas modifiée ! [1] (voir la R. M.)

La retraite d’un associé d’une société anonyme, accompagnée d’un changement de sa dénomination, ne porte atteinte ni à la structure de la société, ni à sa personnalité morale [2].

Un changement de l’actionnariat peut sans nul doute entraîner des modifications importantes dans les relations avec un syndic personne morale. La nouvelle direction peut avoir un souci de la rentabilité plus aigu. Il peut en résulter des changements d’organisation, voire de personnel.

Ces changements peuvent être beaucoup plus préjudiciables que ceux inhérents à une fusion-absorption.

 

Conclusion

La réalité est que c’est l’environnement économique qui est principalement en cause. L’évolution des professions immobilières en ce début de XXIe siècle le montre bien. Il faut alors revenir aux réflexions des participants au congrès de la CNAB.

On peut penser que le regroupement des professionnels de la gestion immobilière (gestion locative, syndicats de copropriétaires et entités assimilées) dans une organisation professionnelle serait de nature à réduire le nombre des difficultés dans ce secteur et apporter une amélioration sensible des services.

Il n’interdirait pas aux autres professionnels d’exercer l’activité de gestion. Cette dérogation serait d’ailleurs localement impérative. A défaut un certain nombre de copropriétés se trouveraient sans syndic.

Le développement plus important encore qu’actuellement, de la formation professionnelle dédiée à la gestion serait poursuivi.

La profession retrouverait un cadre civil. Elle bénéficierait des dispositions prises au profit d’autres professions libérales pour ce qui concerne les groupements de moyens.

 

C’est, nous semble-t-il le vœu que l’on peut formuler pour les administrateurs de biens du XXIe siècle et pour leurs mandants.

 

 

 

Mise à jour

21/05/2013

 



[1] Rep Minist. N° 49253 JOAN Q 24/05/2005 p 5387

[2] CA Paris 23e B 10/01/2002  AJDI 2002 p. 390