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Amélioration aux frais d’un copropriétaire

Exhaussement au 6e étage (chambres de service) de la course de l’ascenseur

Desserte de studios aménagés pour la location

immeuble cossu ; conformité avec la destination

autorisation judiciaire (oui) ; art L 30 alinéa 4

régime juridique de la partie exhaussée

 

CA Paris 23e A 15 novembre 2000

Cass. civ. 3 avril 2002

 

 

L’arrêt rendu par la 23e chambre A de la Cour d’appel de Paris le 15 novembre 2000 montre un exemple d’appréciation subjective par les Magistrats d’une situation litigieuse et de la demande d’autorisation d’effectuer des « travaux d’amélioration » aux frais d’un couple de copropriétaires, conformément aux dispositions de l’article 30 alinéa 4 de la loi du 10 juillet 1965.

L’arrêt nous indique que nous sommes dans un «  immeuble d’habitation cossu édifié en 1910 dans un quartier chic et résidentiel de la capitale, comprenant six étages ». Il précise encore que « les conditions d’habitation et de desserte des cinq étages sont de grand standing, à l’inverse de celles, plus modestes, du dernier niveau ». Aux termes encore de l’arrêt, la partie « habitation » est si bien séparée de la partie « service » qu’un propriétaire d’appartement d’un étage noble doit descendre jusqu’au hall du rez-de-chaussée et ensuite gravir l’escalier de service. C’est une disposition inhabituelle. Les appartements sont en général pourvus d’une porte de service, ne serait-ce que pour les livraisons.

On lit encore que « les copropriétaires sont très attachés à l’absence de communication entre les cinq étages d’une part et le sixième niveau d’autre part, qui assure selon eux leur tranquillité et leur sécurité en leur évitant les allées et venues des occupants du sixième étage à l’égard desquels ils ont une certaine méfiance ».

 

La demande de M. et Mme X… tend à la « surélévation de l’ascenseur », plus exactement à l’allongement de sa course pour qu’il puisse desservir le sixième étage, observation étant faite « que celui ci est desservi par le seul escalier de service et composé de débarras et de chambres de petites dimensions autrefois appelées chambres de bonnes dont plusieurs d’entre elles ont été réunies pour former des studios loués notamment à des étudiants ».

 

La Cour relève en premier lieu que les travaux envisagés constituent bien une amélioration de l’immeuble puisqu’ils vient à étendre un élément de confort moderne de l’habitat à tous les étages.

Un seconde condition d’application de l’article 30 alinéa 4 est la conformité du projet à la destination de l’immeuble « qui s’entend non seulement de la clause d’habitation bourgeoise insérée au règlement de copropriété mais aussi des caractéristiques générales et des conditions d’habitation de l’immeuble ».

On sait que la loi du 10 juillet 1965 ne définit pas la notion de destination. On ne trouve cette définition que dans l’exposé des motifs du projet initial de cette loi : « La destination désigne l'ensemble des conditions en vue desquelles un copropriétaire a acquis son lot, compte tenu de divers éléments, notamment de l'ensemble des clauses des documents contractuels, des caractéristiques physiques et de la situation de l'immeuble, ainsi que de la situation sociale de ses occupants. »

C’est donc bien à la date des premières acquisitions qu’il faut se placer pour déterminer la destination de l’immeuble. Cette indication reste vraie lorsque l’immeuble a, dans un premier temps, été exploité par un bailleur unique, car les candidats locataires étaient pareillement motivés, et vrai encore lorsqu’à l’occasion de sa division en copropriété les appartements ont été achetés à bon compte, par les locataires qui disposaient d’un droit de préemption.

 

Dans le cadre de sa recherche, la Cour admet que la surélévation de l’ascenseur entraîne de fait la suppression du clivage entre les deux parties de l’immeuble. Mais « cette communication ne porte en rien atteinte à la destination d’habitation exclusive de l’immeuble dès lors qu’il n’existe, au regard du règlement de copropriété n’opérant aucune ségrégation de ce chef, que des parties communes générales dans lesquelles tous les copropriétaires ont des droits indivis au prorata de leurs tantièmes et non des parties communes spéciales à certains copropriétaires ».

Cette argumentation, qui, de prime abord, avec clivage et ségrégation, semble affectée d’une connotation « socio-moderniste », est en réalité purement juridique. Elle fait écho à un arrêt [1] rendu sur une demande identique présentée, dans un immeuble proche, par un copropriétaire de grande qualité qui avait transformé cinq « chambres de bonnes » en un très bel appartement et se lamentait de devoir y accéder par l’escalier de service. Le règlement de copropriété de cet immeuble faisait de l’escalier principal et de l’ascenseur, des parties communes spéciales aux propriétaires des lots des étages desservis ! Dès lors, le demandeur n’avait pas la qualité de copropriétaire de ces parties et sa demande avait été déclarée irrecevable. Dans sa note de la Revue de droit immobilier, le professeur Giverdon avait admis sa rigueur juridique, mais regretté, du point de vue sociologique précisément, son anachronisme. Il ignorait, il est vrai, que cette instance s’était nouée entre gens du même monde.

 

La Cour énonce ensuite que «  les titulaires de lots du sixième étage tiennent de l’article 9 de la loi du 10 juillet 1965 et du règlement de copropriété un droit d’usage des parties communes, y compris celles desservant les cinq étages.

C’est une évidence dans la mesure ou les lots du sixième étage étaient à l’origine des lots accessoires aux lots « appartements ». Il y avait donc identité de titulaires.

Mais qu’en est-il lorsqu’un lot du sixième étage appartient à une personne qui n’est pas propriétaire d’un lot « appartement » ? La destination d’une partie commune est fonction de sa nature et de sa raison d’être. Dès lors que la cour commune de l’immeuble donne accès au local des poubelles, tout occupant régulier peut l’utiliser pour accéder à ce local. L’escalier principal donne accès aux lots des cinq étages. Sa destination est donc de donner accès à ces appartements. S’il donne accès au sixième étage, il est contraire à l’ordre public d’en interdire l’usage aux occupants de cet étage [2] .

 

Nous laisserons de côté « les craintes des copropriétaires concernant la sécurité, la tranquillité et les risques de dégradations des parties communes liées à la surélévation de l’ascenseur », qui sont déclarées infondées, les propriétaires bailleurs du sixième étage ayant intérêt à faire choix de locataires sérieux et solvables dont ils répondent à l’égard du syndicat des copropriétaires. Notons pourtant que ces inconvénients toujours possibles ont conduit la Cour de cassation à valider l’opposition de copropriétaires d’autres immeubles cossus à des aliénations séparées de caves et chambres de service à des personnes étrangères à la copropriété alors qu’elle est rejetée dans le cas d’immeubles plus modestes !

On lit dans l’arrêt de la Cour de cassation du 4 juin 1998 [3] 

« Mais attendu qu'ayant constaté que l'immeuble était cossu et bien entretenu, qu'il était occupé seulement par huit copropriétaires, qu'il était situé dans un quartier résidentiel, et retenu que la volonté exprimée dans le règlement de copropriété était d'assurer à un petit nombre de personnes un mode de vie, caractérisé par un nombre réduit d'appartements spacieux, favorisant la tranquillité de chacun par la séparation des parties d'habitation de celles réservées au service dans un immeuble à vocation essentiellement bourgeoise, et que cette volonté des rédacteurs du règlement n'était contredite par aucune autre clause relative à l'occupation ou à la location, et se trouvait confortée par l'absence de constitution des chambres de service en lots séparés et par la possibilité d'échanges de ces chambres entre les copropriétaires dans la maison, la cour d'appel, appréciant souverainement la destination de l'immeuble, a décidé, à bon droit qu'était licite la clause du règlement interdisant la cession séparée des chambres de service au profit de tiers non copropriétaires »

 

Dans la Revue de droit immobilier, le Professeur Giverdon écrit à propos de cet arrêt : « On permettra à l’un des signataires de cette chronique d’exprimer sa satisfaction à la lecture de cette décision que d’aucuns jugeront, sans doute, peut conforme à la chasse à l’exclusion pratiquée par beaucoup qui en même temps s’accommodent fort bien de la tranquillité procurée par les immeubles à vocation essentiellement bourgeoise grâce à la séparation des parties d’habitation de celles réservées au service »

 

Quant à l’utilisation de l’ascenseur ? Le nombre des lots du sixième étage n’est pas assez important pour modifier sensiblement pour les autres copropriétaires les conditions d’utilisation de l’ascenseur.(durée d’attente, encombrement de la cabine, etc.). Plus généralement la Cour fait valoir que la desserte par l’ascenseur de tous les niveaux habités valorise les immeubles qui en bénéficient au lieu de nuire à leur standing et à leur cachet.

Quel que soit le jugement moral que l’on puisse porter sur les modalités d’appréciation du standing d’un immeuble, on sait bien que cette affirmation n’est exacte que pour les studios créés au sixième étage. Il est bien certain qu’aux yeux d’acquéreurs potentiels, - à tort ou à raison -, la valeur des appartements d’habitation se trouve dépréciée..

 

La Cour constate, in fine, que le projet « est pleinement conforme avec la destination de l’immeuble ». Il le resterait même dans l’hypothèse où tous les propriétaires de lots au sixième étage entendaient bénéficier du service de l’ascenseur en réglant leur quote-part. En l’état, les époux X… sont les seuls propriétaires bailleurs.

Leur quote-part ? Quelle quote-part ? Bien entendu celle du rachat de l’utilisation de la course complémentaire de l’appareil ! La Cour rappelle que dans un premier temps l’amélioration « ne devra profiter qu’aux époux X… ou autres occupants de leur chef (les locataires), les autres propriétaires de lots du dernier niveau ne pouvant prétendre y accéder par l’ascenseur qu’à charge de rembourser aux appelants une quote-part du prix des travaux correspondants, conformément à l’article 30 alinéa 4 de la loi !

On tombe ici sur un aspect particulier de la mise en œuvre de ce texte. Nous ne sommes pas en présence d’une amélioration classique comme l’installation d’une ascenseur dans un immeuble qui n’en est pas pourvu. Déjà, dans ce cas, se pose la question du régime juridique de l’appareil. L’opinion dominante est en faveur de la propriété indivise de l’installation nouvelle répartie entre les copropriétaires « installateurs ». Personne ne précise comment sa gestion est assurée, ni comment il est assuré. C’est bien entendu d’un élément d’équipement spécial qu’il faut parler, dont la gestion doit être assurée par le syndic. Le proclamer clairement dans le statut de la copropriété serait sans doute préférable.

Dans notre cas, l’ascenseur existant est un élément d’équipement commun dont les charges sont réparties entre les propriétaires des lots desservis. La prolongation de la course fait-elle apparaître un second appareil ?. Devra-t-on prévoir  un second contrat d’entretien ? et une seconde police d’assurance ? Évidemment non.

La partie menant du cinquième au sixième étage pourrait-elle exister en l’absence de l’installation existante ? Non bien sur. Comment alors doit-on prévoir la rémunération des copropriétaires en place pour la fourniture de ce support nécessaire ? Il nous manque pour répondre un élément important : on ne sait pas si les époux X… sont par ailleurs propriétaires d’un appartement dans les étages inférieurs ou s’ils sont seulement des investisseurs avisés dans le secteur particulier des loueurs de chambres de bonne.

 

L’arrêt ne précise pas non plus si les copropriétaires opposants au projet avaient eux-mêmes loué des chambres de bonne. Cette circonstance aurait pourtant pu apporter un éclairage différent sur ce litige.

 

La Cour d’appel, après avoir constaté que « les copropriétaires sont très attachés à l’absence de communication entre les cinq étages d’une part et le sixième niveau d’autre part, qui assure selon eux leur tranquillité et leur sécurité en leur évitant les allées et venues des occupants du sixième étage à l’égard desquels ils ont une certaine méfiance », se devait de juger que le projet portait atteinte à la destination de l’immeuble, « ensemble des conditions en vue desquelles un copropriétaire a acquis son lot, compte tenu de divers éléments, notamment de l'ensemble des clauses des documents contractuels, des caractéristiques physiques et de la situation de l'immeuble, ainsi que de la situation sociale de ses occupants ».

La règle de droit est supplantée par l’impérieuse nécessité de « refaire le monde » au nom d’un principe de mixité sociale parfaitement respectable, mais ici mal compris et appliqué de manière inappropriée. On ne peut que rappeler l’observation, citée plus haut, du Professeur Giverdon, qu’on ne pouvait suspecter d’être l’apôtre de la ségrégation sociale. Son action constante en faveur de l’intégration des locataires aux communautés immobilières que sont les copropriétés ne laisse planer aucun doute à cet égard.

Comment la copropriété doit-elle s’insérer dans l’espace-temps ? On ne peut négliger l’évolution technique et il faut considérer comme une opération d’entretien le remplacement d’un élément d’équipement vétuste par un nouveau comportant des améliorations techniques qui sont d’ailleurs imposées par la réglementation administrative.

Le Juge peut-il substituer sa conception de l’évolution des mœurs aux volontés concordantes d’un groupe de copropriétaires souhaitant conserver une autre manière de vivre au sein d’une institution collective à laquelle ils ont adhéré pour pouvoir vivre de cette manière ? Peut-il favoriser l’action d’un intrus qui a librement adhéré à cette institution pour ensuite venir en troubler le fonctionnement dans un but essentiellement mercantile ? Certainement pas.

Notre observation ne vaut pas seulement pour les immeubles cossus. La définition de la destination de l’immeuble donnée par les auteurs du projet de loi de 1965 s’applique pareillement aux immeubles modestes. Pourquoi les copropriétaires modestes seraient-ils tenus de supporter des divisions de lots et des ventes séparés de petits lots qui ne seraient prohibées que dans les copropriétés cossues ?

 

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le syndicat des copropriétaires [4] .

Voir l’arrêt de la Cour de cassation

 

 

 

 

 

 

Mise à jour

08/07/2010

 

 

 



[1] CA Paris 18/12/1980 RDI 1981 p. 116

[2] CA Paris 23e B 19/09/1997 Loyers et copropriété janvier 1998 n° 23

[3] Cass. civ.3e 04/06/1998 :: Loyers et copropriété. 1998, n° 227 :RDI 1998, p. 416, obs. Cl. Giverdon ; dans le même sens CA Paris, 4 juin 1997 : Loyers et copropriété 1997 n° 298

[4] Cass. civ. 03/04/2002  Administrer juin 2002 p. 56