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Cass civ 3 30 juin 2004 N° de pourvoi : 03-11562 Cour d’appel de Douai, 16-05-2002
Attendu, selon l’arrêt attaqué rendu en matière de référé, que Mme
X..., propriétaire dans un immeuble en copropriété d’un lot n° 2 à usage
d’emplacement de garage, a assigné Mme Y..., propriétaire du lot n° 3
également à usage de garage et contigu au lot n° 2 en rétablissement de
l’utilisation de son lot dont cette dernière lui interdisait l’accès ; que
Mme X... a loué son lot aux époux Z... ; Sur le moyen unique, pris en sa première branche : Attendu que Mme Y... fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande alors,
selon le moyen, que la division d’un immeuble en lots de copropriété est
incompatible avec la création, au profit de la partie privative d’un lot,
d’une servitude sur la partie privative d’un autre lot ; que pour débouter
Mme Y..., propriétaire d’un emplacement de garage dans un immeuble en
copropriété, de sa demande tendant à voir condamner sous astreinte Mme X...,
propriétaire du lot contigu, à respecter et à faire respecter par ses
locataires l’utilisation de cet emplacement, la cour d’appel a retenu que le
droit de passage prévu par les actes de vente des parties constituait une
servitude réelle et non personnelle que Mme X... avait pu, à bon droit,
mettre à la disposition de ses locataires ; qu’en statuant ainsi quand la
division de l’immeuble en lots de copropriété était incompatible avec
l’existence d’une telle servitude, la cour d’appel a violé les articles 1er,
alinéa 1er de la loi du 10 juillet 1965 et 637 du Code civil ; Mais attendu que le titulaire d’un lot de copropriété
disposant d’une propriété exclusive sur la partie privative de son lot et
d’une propriété indivise sur la quote-part de partie commune attachée à ce
lot, la division d’un immeuble en lots de copropriété n’est pas incompatible
avec l’établissement de servitudes entre les parties privatives de deux lots,
ces héritages appartenant à des propriétaires distincts ; qu’ayant
constaté que les actes notariés prévoyaient que Mme Y... était propriétaire
d’un emplacement pour voiture devant le lot n° 2 sur l’autre moitié d’un même
local, que le lot n° 3 était grevé d’un droit de passage au profit du lot n°
2 pour permettre au propriétaire de ce lot d’accéder à son emplacement de
garage qui se trouvait ainsi enclavé, que ce droit de passage s’exercerait
par véhicule automobile sur le lot n° 3 et ce, à titre de servitude réelle et
perpétuelle, et ce en tout temps et à toute heure par le propriétaire du lot
n° 2, et par tous les propriétaires successifs de ce lot, la cour d’appel en
a exactement déduit que Mme Y... n’était pas fondée à opposer l’absence de
qualité de bénéficiaires du droit de passage des époux Z..., ce droit
constituant une servitude réelle et non un droit personnel ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé de ce chef ; Mais sur le moyen unique, pris en sa seconde branche : Vu le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble
excédant les inconvénients normaux de voisinage ; Attendu que pour débouter Mme Y... de ses demandes à l’encontre de Mme
X..., l’arrêt retient que celle-ci ne peut être condamnée à une obligation de
faire alors qu’elle n’est pas responsable des voies de fait commises par ses
locataires ; Qu’en statuant ainsi, alors que la victime d’un trouble anormal de
voisinage trouvant son origine dans l’immeuble donné en location, peut en
demander réparation au propriétaire et qu’elle avait constaté que suivant
procès-verbal d’huissier de justice du 13 juillet 2000, le véhicule des époux
Z... empiétait de 20 centimètres sur l’emplacement de Mme Y..., la cour
d’appel a violé le principe susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il retient que Mme X... ne
peut être condamnée à une obligation de faire, alors qu’elle n’est pas
responsable des voies de fait commises par ses locataires, l’arrêt rendu le
16 mai 2002, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ; remet, en
conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se
trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la
cour d’appel d’Amiens ; Condamne Mme X... A... aux dépens ; Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la
demande de Mlle Y... ; Commentaires : Alors que les plus
hautes Autorités commencent à se pencher sur les problèmes pratiques posés
par les revirements, l’arrêt du 30 juin 2004 fournit un bon exemple des
incertitudes prétoriennes. L’incompatibilité
entre le régime de la copropriété et celui des servitudes, du moins au sein
du bien commun, était jusqu’à présent un dogme. Il suffit de se référer aux
décisions de ces quinze dernières années[1]
Les auteurs se sont ralliés à cette position. Le professeur Giverdon faisait
ainsi valoir[2] que la
condition fondamentale de toute servitude entre les parties privatives de
deux lots, -un fonds servant et un fonds dominant appartenant à deux
propriétaires différents -, ne pouvait être remplie dans le cas d’une
copropriété classique, alors qu’elle l’était dans le cas de lots-volumes. Il
rappelait à l’appui de cette affirmation différents arrêts antérieurs à ceux
que nous avons cités. C’est l’existence, au sein du lot, d’une quote-part indivise
des parties communes qui justifiait cette impossibilité. En l’espèce, le
règlement de copropriété comportait une clause instituant une servitude
réelle de passage sur la partie privative d’un emplacement de stationnement
pour permettre d’accéder à un emplacement voisin. L’arrêt la déclare valide. On ne saurait
limiter à cette solution pratique les conséquences de l’arrêt. Il proclame
que les parties privatives de deux lots sont des héritages appartenant à deux
propriétaires distincts. C’est bien la nature juridique et sa fonction
économique qui sont ainsi définies. Reconnu comme héritage, le lot de
copropriété est un bien immobilier au même titre que tous les immeubles ou
fonds traditionnels. On trouve à notre
avis une annonce de ce revirement dans l’arrêt rendu le 30 avril 2003 dans
l’affaire « syndicat de la Baie de Valmer ». La Cour de cassation
avait alors jugé que l’ensemble des titres des copropriétaires constituait un
juste titre opposable à l’action en revendication d’un tiers sur une partie
du sol commun de la copropriété. La publication de cet arrêt était accompagnée d’un commentaire rappelant « qu’un arrêt de la Cour de cassation rendu avant la loi du 10 juillet 1965 avait retenu que l'appartement d'un copropriétaire, objet d'une propriété principale privative ayant pour accessoire une quote-part de copropriété des parties communes, constituait, dès l'origine, un immeuble distinct (Civ. 1, 21 nov.1955, JCP 1955) ce qui avait pour effet de reconnaître au droit du copropriétaire sur son lot, des effets analogues à ceux d'un droit de propriété immobilière quelconque. ». Dans le même sens, on peut faire référence aux travaux de Florence Bayard-Jammes[3] qui tendent pareillement à faire du lot de copropriété un bien immobilier banal. On peut donc penser que la décision rapportée contribuera à l’élaboration d’une théorie cohérente de la copropriété immobilière divise. Elle manque au statut qui en comporte virtuellement les principaux éléments. Voir également les
commentaires suivants : Revue de droit
immobilier, septembre-octobre 2004, n° 5, p. 440-441, observations Jean-Louis
BERGEL. Revue trimestrielle de
droit civil, octobre-décembre 2004, n° 4, p. 753-756, observations Thierry
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[1] Cass. civ. 3e 18/12/1991 Loyers et copropriété 1991 n° 80 ; Cass. civ. 3e 09/12/1998 Loyers et copropriété 1999 n° 77 et 21/03/2001 Bull III n° 36 p. 28
[2] Givord et Giverdon La copropriété 3e édition n° 94
[3] F. Bayard-Jammes La nature juridique du droit du copropriétaire immobilier LGDJ Paris 2003