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responsabilité pénale du syndic

travail dissimulé sur un chantier du syndicat

irrégularité de la situation juridique, fiscale et sociale de l’entreprise

responsabilité pénale de la société syndic (oui)

 

 

Cassation crim.  24 mai 2005

N° de pourvoi : 04-86813

Décision attaquée :Cour d’appel de Paris, 15-10-2004

Rejet

 

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le vingt-quatre mai deux mille cinq, a rendu l’arrêt suivant :

 

Sur le rapport de M. le conseiller référendaire VALAT, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général CHEMITHE ;

 

Statuant sur le pourvoi formé par :

 

- LA SOCIETE CABINET Y... PERE ET FILS ET A...,

 

contre l’arrêt de la cour d’appel de PARIS, 12ème chambre, en date du 15 octobre 2004, qui, sur renvoi après cassation, a confirmé le jugement l’ayant condamnée à 150 000 francs d’amende pour recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé ;

 

Vu le mémoire produit ;

 

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-1, 121-2, 121-3 nouveaux du Code pénal, des articles 324-9, 324-10, 362-3 et 362-6 du Code du travail, ensemble les articles 388, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

 

”en ce que l’arrêt attaqué, statuant sur renvoi après cassation, a confirmé le jugement entrepris qui avait déclaré le cabinet Y... Père et Fils et A... coupable de recours, par personne morale, aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé ;

 

”aux motifs qu’ “il résulte de la procédure et des débats que la société Cabinet Y... et A..., syndic de la copropriété du 83-85 avenue de Breteuil à Paris, a fait appel à l’entreprise X... Décors pour effectuer les travaux de ravalement d’une cage d’escalier de l’immeuble, suivant marché en date du 9 juillet 1997 ; que, le 25 novembre 1997, un contrôleur du travail a constaté que trois salariés travaillant sur les lieux n’avaient pas été déclarés à l’URSSAF ; qu’il s’est avéré par la suite que l’entreprise X... n’était pas inscrite au registre du commerce ni au registre des métiers, son dirigeant, Anthony X..., poursuivant son activité professionnelle malgré l’interdiction de diriger, gérer ou administrer une entreprise pour une durée de cinq ans prononcée contre lui par le tribunal de commerce de Melun le 20 février 1995 ;

 

qu’ainsi, il a été établi que l’entreprise d’Anthony X... se livrait au travail clandestin ; qu’il est reproché au cabinet Y... et A... d’avoir eu sciemment recours au service d’un travail dissimulé en contractant avec cette entreprise ; qu’il est constant qu’elle est signataire du marché de travaux consenti à une entreprise qui ne respectait pas les prescriptions de l’article L. 324-10 du Code du travail ; que la matérialité de l’infraction est donc caractérisée ; qu’en contractant avec cette entreprise, peu important que ce fût au nom de syndicat et non pour son compte personnel, il appartenait à la société Cabinet Y... et A..., par l’intermédiaire de son représentant légal, Jean-Pierre Y..., et non de son salarié Vincent Z..., qui ne disposait d’aucune délégation de pouvoirs pour vérifier que l’entreprise choisie respectait les prescriptions de l’article L. 324-10 du Code du travail ; que, s’il est démontré que la société Cabinet Y... et A... avait fait signer à Anthony X..., le 8 novembre 1996, la charte qu’elle impose aux entreprises avec lesquelles elle traite, cette circonstance ne dispensait pas son dirigeant d’exiger que l’entrepreneur lui remette les documents établissant qu’il avait effectivement respecté les exigences légales ;

 

que Jean-Pierre Y... a reconnu qu’il avait fait confiance à une entreprise qu’il connaissait de longue date et n’avait procédé à aucune vérification ; qu’une telle abstention caractérise l’élément moral de l’infraction ; que l’infraction se trouve ainsi constituée dans tous ses éléments” (arrêt attaqué pages 5 et 6) ;

 

”1 ) alors, d’une part, que la juridiction correctionnelle est saisie “in rem” des faits visés dans la citation ; qu’elle ne peut statuer sur d’autres faits qu’en recueillant préalablement l’assentiment du prévenu ; que méconnaît cette règle, en violation des textes susvisés, la cour d’appel qui, sans appeler la société Cabinet Y... et A... ou son représentant à formuler des observations de ce chef, retient la culpabilité de la personne morale sur le fondement d’une infraction prétendument commise pour son compte par son mandataire social, Jean-Pierre Y..., cependant que les agissements ou les abstentions fautives de celui-ci sont des faits qui n’ont été visés ni par la citation initiale, ni par celle délivrée en appel, et que, jusqu’à l’instance de renvoi, il n’était question que des manquements imputés au salarié du cabinet Y... et A... , Vincent Z..., qui, au sein d’une agence de cette société, avait géré directement le marché du ravalement de la cage d’escalier au cours duquel avait été décelé le travail dissimulé ;

 

”2 ) alors, d’autre part et en tout état de cause, qu’il n’y a point de délit sans intention de le commettre ; qu’au cas présent, le cabinet Y... et A... avait fait valoir dans ses conclusions (page 4) que l’absence de vérification, par son mandataire social, du statut social de l’entreprise X... Décors n’avait pas été effectuée sciemment et en connaissance de cause, dès lors que, si Jean-Pierre Y... s’était abstenu de procéder aux vérifications imposées par la loi, ce n’était pas de peur de découvrir un manquement quelconque aux obligations sociales et salariales de son cocontractant, qu’il connaissait depuis le début des années quatre-vingt et qui n’était en infraction que depuis deux ans (condamnation du 20 février 1995) à la date à laquelle le marché a été conclu (9 juillet 1997) ; qu’en ne procédant à aucune recherche à cet égard, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des textes susvisés” ;

 

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure qu’un contrôle d’un fonctionnaire de la Direction départementale du travail et de l’emploi a révélé que trois ouvriers qui travaillaient au ravalement d’une cage d’escalier d’immeuble étaient employés par l’entreprise X... Décors, laquelle n’était pas immatriculée au registre du commerce et n’avait effectué aucune déclaration préalable à l’embauche ; que la société Cabinet Y... et A... , syndic de la copropriété, a été citée devant le tribunal correctionnel, en sa qualité de donneur d’ouvrage, pour recours au travail dissimulé sur le fondement de l’article L. 324-9 du Code du travail, pour n’avoir pas vérifié que son cocontractant s’était acquitté de ses obligations sociales et fiscales ;

 

Attendu que, pour confirmer le jugement ayant déclaré la prévenue coupable, l’arrêt énonce que cette personne morale est signataire du marché de travaux consenti à une entreprise qui ne respectait pas les prescriptions de l’article L. 324-10 du Code du travail ; que les juges ajoutent que, peu important que le contrat fût conclu au nom du syndicat des copropriétaires, il appartenait à la société Cabinet Y... et A... , par l’intermédiaire de son représentant légal Jean-Pierre Y..., de vérifier que l’entreprise choisie remplissait ses obligations légales au regard du texte précité ;

 

Attendu qu’en prononçant ainsi la cour d’appel a justifié sa décision ;

 

Que, d’une part, l’obligation d’énoncer le fait poursuivi n’imposant pas d’identifier dans la citation, l’organe ou le représentant ayant commis l’infraction pour le compte de la personne morale poursuivie, n’excède pas sa saisine la cour d’appel qui détermine quel est cet organe ou représentant ;

 

Que, d’autre part, commet sciemment le délit prévu par l’article L. 324-9 du Code du travail celui qui ne vérifie pas, alors qu’il y est tenu tant par ledit article que par l’article L. 324-14 du même Code, la régularité, au regard de l’article L. 324-10, de la situation de l’entrepreneur dont il utilise les services ;

 

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

 

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

 

REJETTE le pourvoi ;

 

 

 

COMMENTAIRES :

 

Pour les pénalistes, l’arrêt relaté présente l’intérêt d’énoncer que « l’obligation d’énoncer le fait poursuivi dans une citation n’impose pas d’identifier, lorsque la poursuite vise une personne morale, l’organe ou le représentant ayant commis l’infraction pour le compte de cette personne. ». Nous laissons aux spécialistes le soin de disserter sur cette difficulté, pour examiner un autre aspect de l’arrêt qui concerne le monde de la copropriété.

 

L’avertissement doit être clair pour les syndics, professionnels ou non. Le syndic donneur d’ordre et signataire d’un marché de travaux doit respecter les prescriptions de l’article 324-10 du Code du Travail en vérifiant a rempli ses obligations sociales et fiscales.

En l’espèce le contrôle d’un agent de l’URSSAF sur un chantier de ravalement d’une cage d’escalier avait permis de constater la présence de trois ouvriers non déclarés. On se trouvait donc dans un cas de travail dissimulé.

Élément particulièrement aggravant : il s’est avéré par la suite que l’entreprise X... n’était pas inscrite au registre du commerce ni au registre des métiers, son dirigeant, Anthony X..., poursuivant son activité professionnelle malgré l’interdiction de diriger, gérer ou administrer une entreprise pour une durée de cinq ans prononcée contre lui par le tribunal de commerce de Melun le 20 février 1995.

A ces constatations désastreuses, le « syndic » ne pouvait opposer que de longues et anciennes relations avec l’entrepreneur, l’ignorance de ses difficultés récentes et l’engagement écrit qu’il avait pris de respecter les dispositions du Protocole du ravalement de la Ville de Paris.

Nous avons placé le syndic entre guillemets car on apprend, à la lecture de l’arrêt, que les poursuites ont été dirigées dans un premier temps contre son salarié Vincent Z..., sans doute gestionnaire de la copropriété. Il est indiqué qu’il ne disposait d’aucune délégation de pouvoirs pour vérifier que l’entreprise choisie respectait les prescriptions de l’article L. 324-10 du Code du travail.

On peut s’interroger sur la pertinence de cette observation. Le gestionnaire n’a besoin d’aucune délégation de pouvoirs pour vérifier la situation financière, sociale et fiscale d’une entreprise consultée. Mieux vaut observer que les gestionnaires ne sont pas suffisamment avertis à cet égard et qu’en toute hypothèse il appartient en principe à l’employeur de vérifier les dossiers qui lui sont présentés avant la convocation d’une assemblée générale ayant à délibérer sur les travaux envisagés. L’importance de la délégation de pouvoirs consentie au salarié ne jour que pour déterminer une autonomie de décision suffisante pour justifier l’absence de contrôle systématique par l’employeur.

C’est le niveau de qualification et d’emploi du gestionnaire qui est alors en cause et l’existence ou non d’une attestation d’emploi (dite carte grise de la loi Hoguet) peut être un élément déterminant pour l’orientation de l’action pénale. Ajoutons que, dans certains cabinets de gestion, il existe des salariés ayant qualification, rang et mission d’architectes salariés, ce qui peut également changer la donne.

Toujours est-il que « les agissements ou les abstentions fautives de celui-ci [le mandataire social de la société syndic) sont des faits qui n’ont été visés ni par la citation initiale, ni par celle délivrée en appel, et que, jusqu’à l’instance de renvoi, il n’était question que des manquements imputés au salarié du cabinet Y... et A... C’est l’objet de la discussion juridique évoquée au début de la présente note. C’est aussi, pour nous, une évolution surprenante de l’action publique.

Ajoutons aussi qu’à l’extrême, le syndicat des copropriétaires lui-même aurait pu être mis en cause. C’est bien lui, en effet, juridiquement, qui, maître de l’ouvrage, est le seul véritable donneur d’ordre. On peut comprendre que l’action publique ait finalement visé le seul syndic, professionnel réputé connaître l’ensemble de la législation applicable au travail dissimulé. Il nous semble pourtant opportun de relever les risques encourus par les syndicats de copropriétaires qui sont au moins susceptibles d’être déclarés civilement responsables dans ce genre d’affaires.

L’arrêt précise que la sanction a été assez lourde : une amende de cent cinquante mille francs. La situation calamiteuse de l’entreprise a certainement pesé dans la balance de la Justice.

Sans approfondir les particularités de ce dossier, bornons-nous à inciter les syndics, professionnels ou non, à tenir compte strictement des prescriptions du Code du travail relatives au travail dissimulé. C’est aussi l’intérêt des syndicats mandants que de connaître la situation juridique, sociale et fiscale de leurs partenaires.

 

 

 

 

 

 

Mise à jour

22/04/2006