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Responsabilité de l’entrepreneur

Complexe d’isolation et d’étanchéité

Travaux sur existants constituant un nouvel ouvrage

Garantie décennale (oui)

 

 

Cassation civile 3e  18 juin 2008                                                                                         Rejet

Décision attaquée : Cour d’appel de Nancy 18 décembre 2006

N° de pourvoi: 07-12977

 

 

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Nancy, 18 décembre 2006), que l’Office public d’habitation à loyer modéré de Lunéville (OPHLM), a confié à la société Haslauer, depuis en liquidation judiciaire, assurée auprès de la caisse d’assurances mutuelles du bâtiment et des travaux publics (CAMBTP), la pose d’un complexe d’isolation et d’étanchéité, composé notamment d’un enduit de finition fabriqué et fourni par la société Renaulac, sur plusieurs bâtiments existants ; que les travaux achevés entre avril et novembre 1985 ayant présenté des désordres, l’OPHLM a, au vu du rapport déposé par l’expert désigné par ordonnance du 25 avril 1995, assigné la société Haslauer et la CAMBTP ainsi que la société Renaulac et son assureur les Mutuelles unies, aux droits desquelles vient la société Axa Global Risk (Axa), en réparation ;

 

 

Sur le premier moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi provoqué, réunis :

 

Attendu que la CAMBTP et la société Axa font grief à l’arrêt de condamner la CAMBTP à payer à l’OPHLM une certaine somme au titre des travaux de réfection, alors selon le moyen :

1°/ que les désordres affectant les éléments d’équipement dissociables entrent dans le champ de la garantie de bon fonctionnement de deux ans à compter de la réception ; qu’ils ne relèvent de la garantie décennale que lorsqu’ils compromettent la solidité de l’ouvrage ou qu’ils rendent l’immeuble impropre à sa destination ; qu’en jugeant que “les enduits de façade ne constituent pas un élément d’équipement dissociable au sens de l’article 1792-3 du code civil”, tout en constatant que le procédé isolant mis en oeuvre était composé de plaques de polystyrène sur lesquelles étaient appliqués un enduit et une couche de peinture, ce dont il s’évinçait nécessairement qu’un désordre affectant l’enduit de façade pouvait être réparé en remplaçant les plaques de polystyrènes, sans détérioration ni enlèvement de la matière de l’ouvrage, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 1792 et 1792-3 du code civil ;

 

2°/ qu’en affirmant qu’il était “établi par l’expertise de M. X... que l’étanchéité des murs des façades exposées n’est plus assurée”, cependant qu’elle relevait que l’expert avait expressément indiqué, en page 24 de son rapport, que “pour le moment, le préjudice n’est qu’esthétique”, la cour d’appel a dénaturé le rapport d’expertise rédigé par M. X... et a violé l’article 1134 du code civil ;

 

3°/ que les désordres qui ne compromettent pas actuellement la solidité de l’immeuble ou ne le rendent pas impropre à sa destination ne relèvent pas de la garantie décennale ; qu’en décidant que les désordres affectant les enduits de façade relevaient de la garantie décennale, sur le fondement du rapport d’expertise qui énonçait que si le préjudice n’était actuellement qu’esthétique, le processus de dégradation serait évolutif et affecterait à terme l’étanchéité des façades, la cour d’appel, qui n’a pas recherché si l’atteinte à la destination de l’ouvrage interviendrait avec certitude dans le délai décennal, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 et 2270 du code civil ;

 

 

Mais attendu, qu’ayant constaté, d’une part, que les travaux consistaient à rénover des tours par pose d’un complexe isolant comprenant des plaques de polystyrène, un sous enduit armé composé d’un treillis de fibres de verre entre deux couches de ciment colle, une couche de peinture d’impression et un enduit de finition revêtement plastique épais(RPE), ce dont il résultait , que ce complexe d’isolation et d’étanchéité constituait en lui-même un ouvrage, et relevé, d’autre part, que si l’expert avait noté, qu’en l’absence d’infiltrations d’eau dans les appartements, le préjudice n’était qu’esthétique, il avait également indiqué que, dès sa première visite en septembre 1995, le processus de dégradation du complexe était largement entamé, que les endroits où le RPE avait disparu laissaient passer l’eau et que cette circulation d’eau entre le polystyrène et le mur support ainsi que l’humidité maintenue pouvaient provoquer un décollement des plaques et une pénétration d’humidité vers l’intérieur, la cour d’appel a exactement décidé que les travaux entraient dans le champ d’application de l’article 1792 du code civil et souverainement retenu sans dénaturer le rapport d’expertise, et abstraction faite du motif relatif au caractère d’élément d’équipement de l’enduit RPE, que l’ouvrage était, avant l’expiration du délai de la garantie décennale, devenu impropre à sa destination ;

 

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

 

 

Sur le second moyen du pourvoi principal :

 

Attendu que la CAMBTP fait grief à l’arrêt de la débouter de son action subrogatoire dirigée contre la société Axa et de son action fondée sur la faute contractuelle de cet assureur, alors selon le moyen :

 

1°/ que le fabricant d’éléments de construction, conçus et produits pour le bâtiment en cause et mis en oeuvre sans modification, est solidairement responsable des obligations mises à la charge du locateur d’ouvrage ; qu’en se bornant, pour refuser à l’élément d’étanchéité litigieux la qualité d’EPERS, à relever que ce revêtement n’aurait présenté “aucune spécificité le distinguant des autres produits ayant la même finalité”, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 1792-4 du code civil ;

 

2°/ que dans ses conclusions d’appel du 13 février 2006, la compagnie CAMB faisait valoir, au soutien de son recours dirigé contre la compagnie Axa, que celle-ci avait engagé sa responsabilité contractuelle en fournissant à son assurée, la société Peintures Renaulac, un dispositif d’assurance inefficace, puisqu’il ne garantissait pas le procédé d’isolation conçu par cette entreprise et mis en oeuvre au cas particulier ; qu’en exonérant la compagnie Axa de toute faute contractuelle, tout en constatant que ni la police souscrite par la société Peintures Renaulac dans le cadre de la garantie obligatoire, ni la police facultative dite de bonne tenue ne garantissaient le produit à l’origine des désordres, ce dont il s’évinçait nécessairement que la compagnie Axa avait fourni à son assurée une couverture inefficace de sa responsabilité, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l’article 1147 du code civil ;

 

Mais attendu, d’une part, qu’ayant relevé que le revêtement d’étanchéité liquide mis en oeuvre ne présentait aucune spécificité le distinguant des autres produits ayant la même finalité, ce dont il résultait que ce produit n’avait pas été conçu ni fabriqué spécialement pour être incorporé au complexe d’étanchéité devant être posé sur les bâtiments de l’OPHLM, la cour d’appel a légalement justifié sa décision de ce chef ;

 

Attendu, d’autre part, que la CAMBTP, qui n’était pas subrogée dans les droits de la société Renaulac, assurée auprès de la société Axa, mais seulement dans ceux de la société Haslauer, tiers au contrat liant ces sociétés, ne pouvait invoquer, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, une faute de la société Axa dans l’exécution de ce contrat ; que par ce motif de pur droit, invoqué par la société Axa et substitué à ceux critiqués par le moyen, l’arrêt se trouve légalement justifié ;

 

 

PAR CES MOTIFS :

 

REJETTE les pourvois ;

 

Condamne la caisse d’assurance mutuelle du bâtiment et des travaux publics aux dépens des pourvois ;

 

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la caisse d’assurance mutuelle du bâtiment et des travaux publics à payer à l’Office public d’habitation à loyer modéré de Lunéville la somme de 2 500 euros ; rejette les autres demandes ;

 

 

Commentaires :

 

Jusqu’à ces derniers temps, on considérait habituellement que la pose d’un complexe d’isolation et d’étanchéité n’entrait pas dans le champ de la garantie décennale, mais dans celui de la garantie biennale de bon fonctionnement. Une pratique courante était d’adjoindre à la garantie légale une garantie contractuelle de trois ou huit ans.

Le fondement juridique de cette solution était que les enduits de façade ne constituent pas un élément d’équipement dissociable au sens de l’article 1792-3 du Code civil.

 

Il faut rappeler ici qu’un ouvrage est composé

- D’éléments constitutifs qui en constituent la structure

- D’éléments d’équipement qui assurent son fonctionnement

En vertu de l’article 1792-2, la présomption de responsabilité édictée par l’article 1792 (garantie décennale) s’étend également « aux dommages qui affectent la solidité des éléments d’équipement d’un bâtiment, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert ». Le caractère indissociable d’un élément d’équipement est reconnu lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage.

Les autres équipements relèvent de la garantie de bon fonctionnement. Cette affirmation n’est pas contestable lorsque les éléments de structure et ceux d’équipement sont ceux d’un ouvrage neuf.

 

Mais la Cour de cassation a déjà adopté une solution différente dans le cas ou l’élément dissociable a été réalisé sur un ouvrage existant ou même simplement achevé [1] . S’agissant également d’un revêtement d’isolation thermique, la Cour de cassation a jugé qu’il n’y avait pas lieu de faire application de l’article 1792-3 (garantie de bon fonctionnement). (Voir l’arrêt)

Elle considère que les travaux litigieux constituent un ouvrage nouveau, distinct des existants. La règle est désormais énoncée comme suit :

« La responsabilité contractuelle de droit commun s’applique lorsqu’un élément d’équipement dissociable est adjoint à un ouvrage existant tandis que la garantie biennale de bon fonctionnement de l’article 1792-3 du code civil doit être retenue lorsque l’élément d’équipement dissociable a été installé lors de la construction de l’ouvrage. » [2]

La Cour écarte l’argument tiré de l’absence d’infiltrations à la date de la demande. Pour cela, elle se fonde sur les remarques de l’expert judiciaire : « le processus de dégradation du complexe était largement entamé ». Le dommage est donc inéluctable. La constatation, avant l’expiration du délai décennal, du caractère inéluctable d’un dommage futur non encore réalisé suffit à ouvrir au maître d’ouvrage la voie de l’action en responsabilité décennale.

 

On ne peut qu’approuver cette solution favorable aux intérêts du « client », maître de l’ouvrage.

 

Sur le plan « moral », le visiteur attentif aura sans doute noté que l’assureur CAMBTP reprochait à la Cour d’appel de n’avoir pas recherché si l’atteinte à la destination de l’ouvrage interviendrait avec certitude dans le délai décennal. Cet argument peut choquer. Ainsi, l’assureur de l’entrepreneur se désintéresserait-il des risques encourus par le maître d’ouvrage après l’expiration du délai de dix ans ?

La garantie décennale nous vient du droit romain. Elle ne concernait, dans la plupart des cas, que l’effondrement pur et simple de l’immeuble. Il est vrai qu’à l’aube du premier jour de la onzième année, l’entrepreneur avait son quitus. On considérait en effet qu’un bâtiment ayant tenu dix ans était un bâtiment solide ! Cela  n’était pas toujours vrai.

 

 

 

 

 

 

 

Mise à jour

06/10/2008

 

 

 

 

 



[1] Cass civ 3e 18/01/2006 (04-17888) et auparavant Cass civ 3e 10/12/2003

[2] Abstract établi par la Cour de cassation au pied de l’arrêt précité du 18/01/2006.