Syndic personne morale (société commerciale)

Fusion absorption  Transmission universelle du patrimoine de l’absorbée

Transmission des mandats de syndics (non)

Qualité de l’absorbante pour agir en justice au nom d’un syndicat (non)

Qualité de l’absorbante pour convoquer une assemblée (non)

 

Cassation civile 3 10 novembre 1998

Cassation.

Tribunal de grande instance de Grasse, 1996-12-19

N° de pourvoi : 97-12369

 

 

 

 

 

Sur le premier moyen :

 

Vu les articles 416 du nouveau Code de procédure civile, 17, 18 et 25 de la loi du 10 juillet 1965, ensemble l’article 55 du décret du 17 mars 1967

 

Attendu, selon le jugement attaqué (tribunal de grande instance de Grasse, 19 décembre 1996), statuant en dernier ressort sur un incident de saisie immobilière, que le syndicat des copropriétaires d’un immeuble, procédant à la saisie immobilière de différents lots de copropriété appartenant à M. Brun, reconnu débiteur d’un arriéré de charges, a délivré à ce copropriétaire un commandement de payer et diligenté la procédure d’adjudication ; que, reprenant ses poursuites, après divers incidents procéduraux, le syndicat a sommé en novembre 1996 M. Brun d’assister à l’adjudication fixée au 19 décembre 1996 ; que ce propriétaire a contesté la validité des sommations effectuées par la Société cannoise d’administration et de gestion d’immeubles (SCAGI) représentant le syndicat ;

 

Attendu que, pour rejeter la demande de M. Brun en nullité des sommations de novembre 1996, le jugement retient que la société SCAGI, syndic en exercice du syndicat des copropriétaires, et la société d’Administration d’immeubles cannoise (AIC) ont fusionné, que la fusion d’une société a pour conséquence la dissolution sans liquidation de la société qui disparaît et la transmission de son patrimoine à la société bénéficiaire qui est en l’espèce la société AIC, laquelle se trouve donc de plein droit substituée à la société SCAGI, que la société AIC a, suivant dire du 18 décembre 1996, déclaré avoir repris l’ensemble des actes effectués par la société SCAGI, et que, dès lors, la cause de la nullité des sommations de novembre 1996, invoquée par M. Brun, est régularisée ;

 

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher comme il le lui était demandé si la société AIC avait qualité et pouvoir pour représenter légalement en justice le syndicat des copropriétaires, le Tribunal n’a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;

 

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen :

 

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 19 décembre 1996, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Grasse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal de grande instance de Nice.

 

 

 

 

Commentaires :

 

La multiplication des opérations de regroupement des cabinets d’administration d’immeubles pose des problèmes.

 

Les copropriétaires ayant fait choix d’un syndic de trouvent soudainement en présence d’un autre syndic qui a « racheté » le cabinet de son confrère. Dans la plupart des cas, ils n’ont pas été invités à faire préalablement la connaissance du successeur, et moins encore à lui confirmer le mandat qu’ils avaient précédemment donné au cédant.

 

Bien que ces pratiques soient relativement anciennes, les Pouvoirs publics n’ont pas cru devoir les encadrer raisonnablement. Il faut admettre qu’il n’est pas très facile de faire ratifier ce genre d’opérations par des dizaines d’assemblées générales dont certaines devraient être convoquées spécialement.

 

Les auteurs font majoritairement valoir que ces cessions parfois brutales portent atteinte au caractère personnel du mandat du syndic qui est désigné intuitu personae. D’où l’interdiction de se faire substituer qui lui est faite par l’article L 18. Il s’agit d’une dérogation au régime du mandat civil qui permet au contraire au mandataire de se faire substituer, à charge pour lui de surveiller le mandataire substitué.

 

Le caractère intuitu personae du mandat du syndic est de nos jours anachronique. Il faut néanmoins le maintenir car on peut espérer un retour en force des syndics indépendants. Mais la règle de droit perd sa raison d’être quand elle prétend négliger totalement l’évolution des mœurs. C’est le cas en l’espèce.

 

Le syndicat en cause était administré par la société SCAGI. Ce syndic a procédé au recouvrement de charges dues par un copropriétaire. Elle a procédé à l’exécution d’une décision judiciaire par la voie d’une saisie immobilière du lot du débiteur.

La SCAGI, pendant le cours de cette procédure de saisie immobilière, a été absorbée (fusion-absorption) par la société AIC. L’assemblée générale du syndicat n’a pas été convoquée, semble-t-il, pour désigner AIC comme nouveau syndic, ni bien entendu, pour l’habiliter à suivre sur la procédure de saisie immobilière.

Cette société a fait délivrer sommation au débiteur d’assister à l’adjudication. Le débiteur a contesté la validité de la sommation en lui déniant la qualité de syndic et en faisant valoir qu’elle n’avait pas été habilitée à représenter le syndicat à l’occasion de la procédure de saisie immobilière.

 

Le Tribunal, statuant en dernier ressort, a retenu « que la société SCAGI, syndic en exercice du syndicat des copropriétaires, et la société d’Administration d’immeubles cannoise (AIC) ont fusionné, que la fusion d’une société a pour conséquence la dissolution sans liquidation de la société qui disparait et la transmission de son patrimoine à la société bénéficiaire qui est en l’espèce la société AIC, laquelle se trouve donc de plein droit substituée à la société SCAGI, que la société AIC a, suivant dire du 18 décembre 1996, déclaré avoir repris l’ensemble des actes effectués par la société SCAGI, et que, dès lors, la cause de la nullité des sommations de novembre 1996, invoquée par M. Brun, est régularisée ; »

 

La Cour de cassation casse le jugement. Elle estime « qu’en statuant ainsi, sans rechercher comme il le lui était demandé si la société AIC avait qualité et pouvoir pour représenter légalement en justice le syndicat des copropriétaires, le Tribunal n’a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ; »

 

 

Dans son commentaire de l’arrêt [1] , le Professeur Tomasin rappelle qu’une fusion absorption est considérée comme une opération de transmission universelle du patrimoine de la société absorbée à celui de la société absorbante, conformément à l’article L 372-1 de la loi du 24 juillet 1966.

Mais il rappelle aussi qu’une règle spéciale peut déroger à une règle générale. Il faut alors se demander, dans notre cas particulier, où peut se trouver la règle spéciale pouvant fonder la décision de la Cour de cassation.

 

Il suffit de reprendre avec lui les textes visés par l’arrêt ?

 

L’article 416 du NCPC est ainsi conçu :

« Quiconque entend représenter ou assister une partie doit justifier qu'il en a reçu le mandat ou la mission. L'avocat ou l'avoué est toutefois dispensé d'en justifier.

« L'huissier de justice bénéficie de la même dispense dans les cas où il est habilité à représenter ou assister les parties.

 

L’article L 17 ? Il énonce que le syndic est désigné par l’assemblée générale et qu’à défaut, il est désigné par le président du Tribunal de grande instance saisi à la requête d’un ou plusieurs copropriétaires.

 

L’article 18 précise que le syndic est seul responsable de sa gestion et qu’il ne peut se faire substituer

 

L’article 25 ajoute que le syndic est désigné à la majorité qu’il définit.

 

Enfin l’article D 55 exige une autorisation spéciale de l’assemblée pour que le syndic puisse faire pratiquer une saisie immobilière.

 

On peut donc affirmer que la Cour de cassation considère que si la société absorbée était bien dotée de ces désignations et autorisations et des pouvoirs liés, ce n’était pas le cas de la société absorbante, nonobstant la transmission universelle du patrimoine de celle-là.

 

Le blocage partiel du mécanisme ne peut venir que de l’intuitus personae. Mais la Cour de cassation aurait bien fait alors de le préciser net et clair, plutôt que d’émettre une sentence elliptique. Ainsi, la Cour d ‘appel d’Aix [2] a-t-elle précédemment adopté une solution identique en énonçant :

 

« En opérant la fusion absorption dont il s’agit, la société désignée comme syndic ne pouvait dessaisir les copropriétaires du pouvoir propre et exclusif dont ils sont investis par l’article 25 de la loi du 10 juillet 1965, qui exclut toute substitution du syndic sans un vote explicite de l’assemblée.

« En effet, seuls les copropriétaires peuvent choisir le syndic (qu’il soit personne physique ou morale) auquel ils entendent faire confiance pour gérer leur immeuble, ce qui implique, en l’espèce, qu’ils auraient dû être consultés avant, et non après toute modification fondamentale des caractéristiques de la personne morale qu’ils avaient choisie comme syndic »

 

Ce courant jurisprudentiel demeure néanmoins boiteux puisqu’un changement radical de l’actionnariat d’une société anonyme ne prive pas cette société de la conservation de ses mandats de syndic. Une réponse ministérielle fait justement observer que la personne morale n’est pas modifiée ! [3] (voir la R. M.) La retraite d’un associé d’une société anonyme, accompagnée d’un changement de sa dénomination, ne porte atteinte ni à la structure de la société, ni à sa personnalité morale [4]

 

Autant dire que la notion d’intuitus personae est fort contestable en présence d’une personne morale. Les Romains, pour admettre l’erreur sur la personne du cocontractant et notamment d’un coassocié, ne prenaient en considération la notion qu’à l’égard d’une personne physique.

 

De toute manière, la vertu qu’aurait l’intuitus personae de paralyser les effets de la transmission universelle du patrimoine consécutive à la fusion absorption demeure inexpliquée si l’on n’y ajoute pas deux éléments plus solides.

 

Le premier est la notion de fraude à la loi. Elle est indispensable pour parachever la construction du raisonnement de la Cour de cassation. Le recours à la fusion absorption a pour objet de priver les copropriétaires d’une prérogative essentielle : le choix du syndic.

 

Le second est le caractère civil de l’activité de syndic. Le syndic personne physique exerce une activité purement civile. Une société commerciale exerçant l’activité de syndic n’effectue que des actes civils et on peut comprendre aisément qu’une disposition législative de nature commerciale comme la loi de 1966 ne puisse pas permettre d’aller à l’encontre des dispositions du statut civil de la copropriété.

 

Ces deux éléments se combinent parfaitement pour justifier la prééminence du statut de la copropriété sur les mécanismes propres au droit commercial.

 

L’enseignement pratique est qu’une fusion absorption n’entraîne pas la transmission automatique des mandats. Cela revient à dire que ce n’est pas un mode approprié de reprise rapide d’un cabinet d’administration de biens. La solution est identique pour les mandats de gestion locative mais, dans ce cas, l’établissement de nouveaux mandats peut être beaucoup plus rapide.

La solution pratique est-elle réellement avantageuse pour les copropriétaires ? Ce n’est pas évident. La jurisprudence qu’elle profite avant tout à des copropriétaires en litige avec le syndicat qui peuvent user d’un artifice procédural. C’est le cas en l’espèce.

Pour régulariser la situation, serait-ce en désignant comme syndic la société absorbante, les syndicats de copropriétaires doivent solliciter la désignation d’un administrateur provisoire. Cela exige des frais et soucis qui pourraient être évités.

D’un autre côté, il est vrai que les professionnels ne se soucient pas beaucoup du respect dû aux mandants. Les opérations de ce genre se présentent souvent comme un passage en force, accompagné de modifications radicales dans les méthodes de gestion, les clauses des contrats de syndic et les modalités de rémunération au sujet desquelles aucune information préalable n’est fournie.

La loi aurait du 13 décembre 2000 aurait pu comporter quelques lignes pour établir un encadrement juridique de ces opérations sans les interdire.

 

 

Notons toutefois, sur le plan pratique que la Cour d’appel de Paris [5] a jugé exactement que la fusion absorption n’a d’effet à l’égard des tiers qu’à compter de la date d’accomplissement des formalités de publicité au Registre du commerce. Jusqu’à cette date, l’absorbée demeure syndic de la copropriété et peut en particulier convoquer régulièrement une assemblée générale.

Cette assemblée peut être régulièrement tenue à une date postérieure à celle d’accomplissement des formalités de publicité. Il est vrai qu’entre ces deux date la copropriété se trouve sans syndic et qu’un copropriétaire peut présenter requête pour la désignation d’un administrateur provisoire. Mais le Magistrat requis doit statuer en fonction de la situation à la date de son ordonnance. On peut considérer qu’étant informé de la convocation d’une assemblée, il en attendra le résultat pour statuer. Dans le cas contraire, un autre copropriétaire pourra demander la rétractation de l’ordonnance après sa notification. Le Magistrat devra à nouveau statuer en fonction de la situation nouvelle et constater, le cas échéant, que le syndicat est à nouveau pourvu d’un syndic. Il devra donc rétracter son ordonnance désignant un administrateur provisoire.

 

L’existence d’une clause prévoyant la rétroactivité de la fusion absorption ne fait pas obstacle à la mise en œuvre de ce mécanisme. En effet, comme indiqué ci dessus, elle est inopposable au tiers avant l’exécution des formalités de publicité au RCS.

 

Ce mécanisme permet d’organiser la fusion absorption de telle manière que les parties puissent prévoir la tenue d’assemblées générales appelées à prendre acte de l’opération projetée et désigner la nouvelle entité en qualité de syndic.

 

 

 

 

 

Mise à jour

12/09/2007

 

 

 



[1] D. Tomasin Revur de droit immobilier 1999 p. 442

[2] CA Aix 12/06/1997 Loyers et copropriété 1997 n° 246

[3] Rep Minist. N° 49253 JOAN Q 24/05/2005 p 5387

[4] CA Paris 23e B 10/01/2002  AJDI 2002 p. 390

[5] CA Paris 23e A 04/07/2001 Loyers et copropriété Mars 2002 n° 78