Droit ou servitude de « tour d’échelle »

Le « tour d’échelle » en l’absence de titre

 

Question N° : 75162 de M. Rolland Vincent

Ministère attributaire : transports, équipement, tourisme et mer

Réponse publiée au JO le : 09/01/2007 page : 391

 

 

Texte de la QUESTION :

 

M. Vincent Rolland attire l'attention de M. le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer sur une disposition d'urbanisme. Lorsqu'un bâtiment est construit en limite d'un terrain voisin, le propriétaire bénéficie d'un droit d'échelle sur la propriété voisine. Ce droit est acquis pour les opérations d'entretien et de réfection du bâti. Le propriétaire du terrain concerné souffre de cette disposition comme d'une servitude. Il souhaite connaître les modalités d'application de ce droit dans le cas de constructions neuves. En effet, il lui demande s'il suffit d'obtenir un permis de construire en limite d'un terrain pour imposer au voisin un tour d'échelle.

 

Texte de la RÉPONSE :

 

Le droit d'échelle est une servitude qui peut être établie par voie amiable, conventionnelle ou par autorisation judiciaire en cas de désaccord. Elle consiste dans le droit, pour le voisin d'une propriété située en limite séparative très proche, de disposer d'un accès temporaire à cette dernière, pour effectuer les travaux nécessaires à la conservation de sa propre propriété. Cette servitude, plus couramment nommée de « tour d'échelle », est d'origine jurisprudentielle. La délivrance d'un permis de construire d'un bâtiment en limite séparative, s'il peut rendre nécessaire l'usage de cette pratique, ne dispense pas du respect des conditions d'institution de ce droit résultant des règles du droit civil. La jurisprudence a dégagé certains critères jurisprudentiels pour les modes d'établissement de cette servitude : les travaux doivent avoir un caractère indispensable et permettre le maintien en bon état de conservation d'une construction existante ; l'accès chez le voisin suppose que toute tentative pour effectuer les travaux de chez soi, même au prix d'une dépense supplémentaire, se soit révélée impossible ; les modalités de passage, la marge d'empiètement et le temps d'intervention doivent être aussi restreints que possible, le juge pouvant en définir les limites ; le propriétaire voisin est en droit d'obtenir des dédommagements au titre des détériorations éventuelles et des troubles de jouissance inhérents au chantier. Cependant, il importe de souligner que la jurisprudence, d'interprétation stricte, considérant la servitude comme un droit portant atteinte à la propriété, paraît la réserver aux seules réparations sur des constructions existantes et refuser de l'appliquer pour l'édification de constructions nouvelles.

 

 

COMMENTAIRES

 

Cette réponse ministérielle exige une mise au point pour rappeler les sources historiques d’une construction juridique séculaire.

Le « tour d’échelle » n’est pas en effet d’origine jurisprudentielle. La notion comme la pratique nous viennent de l’ancien droit français, dont les dispositions coutumières sont, à cet égard, demeurées applicables après l’entrée en application du Code civil [1] .

Le « tour d’échelle », quand il résulte d’un titre, se présente soit comme un droit de propriété, soit comme une servitude.

 

Pris comme droit de propriété, le « tour d’échelle » reste, pour reprendre la définition du Code Perrin [2] , l’espace de terrain qu’un propriétaire laisse en dehors du mur qu’il construit sur sa propriété. Il sépare donc le mur de l’héritage du voisin et ne cesse pas d’appartenir exclusivement à celui qui en a ainsi disposé. Le voisin contigu n’y peut faire aucune entreprise. Il était courant dans le passé de dresser un procès-verbal de « tour d’échelle » pour éviter les contestations ultérieures.

Le voisin peut, de son côté construire un mur en prenant la même précaution. Les deux « tours d’échelle » accolés constituent alors une « ruelle ».

 

Pris comme une servitude, le « tour d’échelle » est, pour le propriétaire du fonds dominant, le droit de poser ses échelles ou un échafaudage sur le terrain du voisin joignant le mur de sa construction, d’y faire passer ses ouvriers, d’y déposer momentanément les matériaux et outils nécessaires aux travaux à effectuer sur le mur. Il s’agit d’une servitude discontinue et non apparente.

 

En l’absence de titre, il n’y a ni propriété ni servitude.

Les anciennes coutumes accordaient néanmoins au propriétaire du mur le bénéfice du « tour d’échelle » sur le double fondement des rapports de bon voisinage et de l’équité.

Dans le cas des lieux de clôture forcée (villes et faubourgs), il était tenu du compte du fait que le mur de Primus constituait la clôture du terrain de Secundus, épargnant à celui-ci de contribuer pour moitié aux frais d’une clôture mitoyenne. L’économie ainsi réalisée justifiait le passage sans indemnité.

Dans le cas des lieux de clôture facultative, les coutumes exprimaient diverses règles que le Code Perrin résume ainsi : « Si cependant le maître du mur justifiait qu’il n’a aucun moyen de faire , sans pénétrer chez son voisin, les réparations dont ce mur a besoin, il serait fondé, par une induction aussi juste que naturelle de l’article 682 du Code [civil], à exiger de son voisin qu’il lui accorde cette faculté, moyennant une indemnité » [3] .

Pour autant, le « tour d’échelle », dont l’exercice ne peut être qu’occasionnel, ne saurait être considéré comme un droit de passage justifié par l’état d’enclave. Celui-ci est caractérisé par sa permanence.

 

La jurisprudence moderne s’est bornée à reprendre, en l’absence d’un titre, les solutions coutumières [4] . Elle fait parfois référence à la notion d’abus du droit de propriété pour critiquer l’opposition du propriétaire voisin à l’exercice du tour d’échelle. Comme souvent dans le cas d’application d’usages anciens, c’est le jugement d’un tribunal d’instance [5] qui s’avère encore de nos jours un guide sûr pour la fixation des modalités d’exercice du « tour d’échelle » ;

En présence d’un titre, qui peut être antérieur au Code civil, le Juge se borne à constater le droit du bénéficiaire, fixer éventuellement une astreinte en cas de résistance du voisin et déterminer, s’il y a lieu, les modalités d’exercice du « tour d’échelle ».

Le « tour d’échelle » a été admis pour l’exécution de travaux neufs [6] . Il ne peut s’agir alors que de travaux de finition (en l’espèce le crépissage d’un mur). Pour l’essentiel, les constructeurs doivent tenir compte de la disposition des lieux pour organiser leur chantier sans avoir à empiéter sur le terrain voisin. Une exception notable est le droit de passer chez le voisin pour effectuer le rehaussement des conduits de cheminées rendu nécessaire par la réalisation d’une construction plus haute. Ces travaux sont effectués dans l’intérêt du voisin qui a le droit d’en exiger l’exécution.

De même le ravalement d’un mur pignon pourra justifier ultérieurement le recours au « tour d’ échelle ».

 

Pour le surplus la réponse ministérielle précise utilement les modalités d’exercice du « tour d’échelle ».

 

 

 

 

 

Mise à jour

20/01/2007

 

 

 



[1] CA Toulouse 13/07/1904 Gaz. Pal. 1904-2-250

[2] Code Perrin des constructions et de la contiguïté Librairie générale de jurisprudence Paris 1925 v° tour d’échelle

[3] Dans le même sens : Droin De la servitude de tour d’échelle 1902

[4] Cass civ 1e 14/12/1955 D 1956 283 note Blanc RTDC 1956 373

[5] TI Salon de Provence 17/01/1975 D 1975 245 RTDC 1975 568 note Giverdon

[6] TGI Nancy 18/01/1966 GP 1966 1 249.