00043608 CHARTE Ne
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Décision n° 94-345 DC du
29 juillet 1994 Loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue
française Vous trouverez
successivement : La liste des députés ayant signé la
lettre de saisine Le texte de la lettre de saisine,
c'est-à-dire les reproches formulés par les signataires Le texte de la décision du Conseil
constitutionnel Saisine par 60 députés Le Conseil constitutionnel a été
saisi le 1er juillet 1994, et le 19 juillet par un mémoire en réplique
présenté consécutivement aux observations du Gouvernement, par MM Martin
Malvy, Henri d'Attilio, Jean-Marc Ayrault,
Jean-Pierre Balligand, Gilbert Annette, Claude
Bartolone, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux,
Jean-Claude Beauchaud, Michel Berson,
Jean-Claude Bois, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel
Boucheron, Didier Boulaud, Jean-Pierre Braine,
Laurent Cathala, Camille Darsières, Mme Martine
David, MM Bernard Davoine, Jean-Pierre Defontaine, Bernard Derosier,
Michel Destot, Julien Dray, Pierre Ducout, Dominique Dupilet,
Jean-Paul Durieux, Henri Emmanuelli, Laurent Fabius, Jacques Floch, Michel Fromet, Pierre Garmendia, Kamilo Gata, Jean Glavany, Jacques Guyard,
Jean-Louis Idiart, Frédéric Jalton,
Serge Janquin, Charles Josselin, Jean-Pierre Kucheida, André Labarrère,
Jean-Yves Le Déaut, Louis Le Pensec,
Alain Le Vern, Marius Masse, Didier Mathus, Jacques Mellick, Louis Mexandeau, Didier Migaud, Mme Véronique Neiertz, MM Paul Quilès, Alain Rodet, Mme Ségolène Royal, MM Henri Sicre,
Roger-Gérard Schwartzenberg, Daniel Vaillant, Bernard Charles, Régis Fauchoit, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy
et Emile Zuccarelli,
députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la
Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à l'emploi de la
langue française ; Lettre de saisine par les députés
Les députés soussignés à Monsieur
le président, Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2,
rue Montpensier, 75001 Paris Conformément au deuxième alinéa de
l'article 61 de la Constitution nous avons l'honneur de déférer au Conseil
constitutionnel la loi relative à l'emploi de la langue française telle
qu'elle a été adoptée par le Parlement. I
Sur la défense de la langue française La loi déférée a en partie pour
objet d'une part d'imposer l'emploi de la langue française dans un grand
nombre de situations de communication à des personnes tant publiques que
privées et tant françaises qu'étrangères, d'autre part de proscrire
l'utilisation de termes empruntés à une langue étrangère dans un nombre non
moins considérable de situations de communication et à l'intention des mêmes
personnes. Afin d'éviter toute ambiguïté et
toute interprétation tendancieuse de leur démarche, les saisissants tiennent
à préciser d'entrée de jeu qu'ils partagent les préoccupations affichées par
le Gouvernement et par une partie de la majorité parlementaire en ce qui
concerne la nécessité de défendre la place de la langue française dans le
monde, d'en promouvoir la qualité et l'usage préférentiel notamment dans les
rapports internationaux publics et privés. Toutefois, ils observent en premier
lieu que le Gouvernement et son actuelle majorité non seulement n'entendent
pas consentir les efforts notamment budgétaires nécessaires à la réalisation
de ce louable objectif, mais au contraire ont réduit les moyens et les
crédits qui devraient y concourir. En deuxième lieu, ils ne sauraient
accepter que l'affirmation excessive d'une sorte de monopole de l'expression
en langue française aboutisse, quelles qu'aient pu être les protestations
embarrassées du ministre de la culture, à de nouvelles restrictions de
l'usage de langues régionales souvent déjà menacées et qui ne sauraient être
assimilées à des langues étrangères alors qu'elles constituent une part
essentielle du patrimoine culturel de la nation. En troisième lieu et surtout, ils
ne sauraient accepter que la défense de la langue française passe non par la
politique active de formation et de diffusion de notre culture qu'ils
appellent de leurs voeux, mais par une action de
répression et de restriction considérables de la liberté d'expression et de
communication. Attachés à l'usage de la langue
française, mais pour le moins autant à la liberté et au respect de l'Etat de droit, les députés soussignés se voient donc
contraints de déférer les articles 1er, 2, 3, 5, 5 bis, 10, 11, 12 et 15 de
la loi votée par le Parlement à la censure du Conseil constitutionnel. II. Sur
l'ensemble de la loi déférée Les saisissants, qui ne considèrent
nullement l'ensemble de la loi comme inconstitutionnelle, estiment en
revanche nécessaire, afin de démontrer l'inconstitutionnalité des seuls
articles qu'ils défèrent à la censure du Conseil constitutionnel, de situer
ceux-ci dans leur contexte général. De ce point de vue, la loi déférée
n'est pas intervenue sur un terrain entièrement vierge, loin s'en faut. Il
faut en particulier rappeler ici l'existence d'une loi du 31 décembre 1975
portant sur le même sujet, qui déjà brandissait les foudres de nombreuses
interdictions en se référant à une sorte de vocabulaire officiel à valeur
impérative, mais n'entendait contraindre que les personnes (de droit public
ou de droit privé) assurant des missions de service public. Cette loi n'a pas été l'objet d'une
application significativement efficace, en partie en raison de son contenu
(une langue vit plus d'enthousiasme et de plaisir des mots que de normes
contraignantes et de barrières à la libre expression), en partie aussi en
raison de l'hésitation des juridictions à sanctionner des comportements dont
la dangerosité pour l'ordre public était pour le moins peu évidente. Peu
utile, elle restait cependant relativement modérée et également peu
dangereuse pour l'état des libertés. Bien au contraire, la loi déférée
a, en certaines de ses dispositions, été marquée par l'abandon de toute mesure
dans l'expression du chauvinisme linguistique et dans la recherche d'une
sorte de " purification lexicale ". La simple lecture des rapports et
débats parlementaires suffit à en convaincre : le rapporteur de la commission
des lois de l'Assemblée nationale ne cesse de stigmatiser " l'anarchie
", un " libertinage verbal " (sic) qui " mérite d'être
contenu ", le " relâchement " et la " paresse " des
Français, ou encore de dénoncer " l'ennemi " et les "
invasions étrangères " ; il a même ce mot admirable : " l'usage
d'une langue étrangère n'est jamais innocent ". (Rapport présenté en première
lecture devant l'Assemblée nationale, page 12) Le rapporteur de la commission des
lois du Sénat l'avait d'ailleurs précédé sur cet étrange terrain, fustigeant
l'" empressement coupable des Français à recourir à l'anglo-américain
" et affirmant ensuite en séance publique que les États-Unis "
écrasent " et " excluent " (compte rendu analytique des débats
du Sénat du 26 mai 1994, page 15) alors que M Lauriol,
qui avait rapporté sur la loi du 31 décembre 1975, avait déjà jeté le masque
lors de la séance du 12 avril du Sénat : " il s'agit d'imposer [] une
réaction sécuritaire s'impose " (compte rendu analytique, page 74). Après cela, on ne peut guère se
laisser prendre au discours ministériel qui prétend, contre toute évidence,
que la loi déférée ne serait par une " loi sur la langue " (compte
rendu analytique des débats du Sénat du 12 avril 1994, page 58), ni aux
propos du rapporteur précité de la commission des lois de l'Assemblée
nationale qui, reconnaissant que " l'usage d'une langue [est] un des
éléments de la liberté d'expression ", proclame que " le
législateur ne saurait bien sûr ici prétendre imposer à tout propos ses
propres conceptions ". (Rapport présenté en première lecture, page 18) Certes, les débats parlementaires
ont fourni au Gouvernement et à une partie secourable de sa majorité
l'occasion d'adoucir quelque peu le texte initial. A ainsi disparu du
deuxième alinéa de l'article 4 du projet de loi l'extraordinaire et
révélatrice formule de la " rédaction en français obligatoire " qui
eût conduit le législateur à tenter de définir a contrario la notion
problématique de " français facultatif " et à distinguer les cas
dans lesquels le choix de la langue reste libre pour les citoyens ordinaires
Mais ces adoucissements sont le plus souvent restés " cosmétiques "
: ils cherchent à atténuer l'effet spectaculaire produit par le ton et par la
forme du projet de loi et des propos entendus dans la majorité parlementaire,
propos dont il n'a été donné ci-dessus qu'un faible échantillon. Il reste, sous le masque d'un
discours plus anodin, que la loi déférée, à la différence de sa devancière,
prétend en certaines de ses dispositions (qui seront ci-après analysées)
désormais imposer l'usage d'une véritable " langue officielle " non
seulement aux administrations publiques, aux magistrats et aux gestionnaires
privés de services publics, mais même aux simples particuliers, ce que le
ministre de la culture a d'ailleurs expressément revendiqué au cours des
débats (voir le compte rendu analytique des débats du Sénat du 12 avril 1994,
page 59, ou encore les débats de l'Assemblée nationale du 3 mai 1994, Journal
officiel, page 1391). Ce faisant et dans cette mesure,
elle porte une atteinte délibérée et radicale au principe de libre
communication des pensées et des opinions, ainsi d'ailleurs qu'à la liberté
d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie. Or, à ces
libertés fondamentales et surtout à la première d'entre elles il ne saurait
être porté atteinte que pour la défense de libertés constitutionnelles de
même rang ou pour la poursuite d'objectifs de valeur constitutionnelle tels
que l'ordre public ; plus précisément, ce n'est que pour ces motifs que le
législateur peut constitutionnellement accroître la restriction des libertés
visées par rapport à l'état de la législation existante. Or, il est manifeste que ladite
législation existante comportait déjà un " arsenal " tout à fait
suffisant pour assurer la poursuite de l'objectif de promotion de la langue
française affiché par le Gouvernement et par l'actuelle majorité ; nombreux
furent d'ailleurs les orateurs de cette dernière (voir par exemple le
rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, rapport en
première lecture, page 21, et aussi en séance publique le 3 mai 1994, Journal
officiel, page 1364, ou encore le sénateur Lauriol,
compte rendu analytique des débats du Sénat du 12 avril 1994, pages 70 et 71)
qui le reconnurent en soulignant que le seul défaut que comportait à leurs
yeux la loi du 31 décembre 1975 était de n'avoir pas été suffisamment
appliquée. On retrouve là un travers bien français qui consiste à masquer
l'absence de rigueur dans l'application effective des lois par une surenchère
textuelle illusoire, le Parlement en étant parfois réduit à évoquer les chœurs
antiques scandant, immobiles, " Marchons ! marchons ! " . Mais ce dysfonctionnement du
travail législatif ajoute en l'occurrence l'inconstitutionnalité au ridicule,
en ce que les dispositions qui seront ci-après critiquées de la loi déférée,
vu l'état de la législation antérieure, n'étaient en rien nécessaires à la
poursuite des objectifs que ladite loi prétend se donner ni d'ailleurs à
celle d'aucun autre objectif de valeur constitutionnelle. C'est en ce sens
que ces dispositions portent une atteinte irrégulière à la libre
communication des pensées et des opinions, à la liberté d'entreprendre, à la
liberté du commerce et de l'industrie, ainsi qu'au principe d'égalité devant
la loi et au principe de proportionnalité des peines, à quoi s'ajoute enfin
un ensemble de violations de l'article 34 de la Constitution par "
incompétence négative ", le législateur ayant renoncé à fixer lui-même
les règles qui auraient dû garantir en la matière le respect des libertés
publiques. Enfin, en soumettant désormais à un
régime identique de censure linguistique les personnes gestionnaires d'un
service public et les simples particuliers, les dispositions critiquées de la
loi déférée violent manifestement le principe constitutionnel d'égalité de
traitement : d'une part, la puissance publique ne saurait à aucun titre, dès
lors que l'ordre public n'est pas violé, réglementer le contenu des propos
d'une personne privée qui ne s'exprime qu'en son propre nom, à la différence
d'un gestionnaire de service public dont l'expression publique engage la
République, si bien que le traitement identique appliqué à des personnes qui
sont en situations profondément différentes au regard de l'objet de la loi
déférée est incontestablement discriminatoire ; d'autre part, les entreprises
francophones sont sans aucun doute favorisées par rapport à leurs
concurrentes non francophones, ce qui non seulement viole la liberté de
circulation des biens et des services instituée par l'ordre juridique
communautaire mais aussi rompt l'égalité des agents économiques devant le
régime législatif de la concurrence y compris, là encore, lorsque l'ordre
public (et notamment la protection du consommateur) ne l'exige pas. III.
Sur les articles 1er, 2 et 3 de la loi déférée L'article 1er interdit non
seulement l'emploi d'une langue étrangère, mais aussi l'utilisation d'un
terme emprunté à une langue étrangère dès lors qu'un terme français aura été
jugé équivalent par un " dictionnaire officiel " ou par un "
arrêté de terminologie ", dans toute description de bien, de produit ou
de service. Ces interdictions ne sont pas assorties de sanctions pénales
définies par voie législative, mais le Gouvernement a communiqué aux
commissions parlementaires un projet de décret instaurant des peines
contraventionnelles, en l'occurrence une peine d'amende allant jusqu'à 10 000
F par infraction constatée. De telles dispositions portent
manifestement atteinte à la fois à la liberté de communication, proclamée par
l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août
1789, et à la liberté du commerce et de l'industrie. Ces libertés, et singulièrement la
première d'entre elles, ne sauraient être limitées, on l'a dit, que pour
protéger des libertés de rang équivalent ou pour servir un objectif de valeur
constitutionnelle. En l'espèce, la disposition
introduite en 1992 dans l'article 2 de la Constitution selon laquelle "
la langue de la République est le français " ne saurait servir de base
juridique à la loi déférée : en admettant même, ce qui n'est d'ailleurs
nullement certain, que la promotion de la langue française soit devenue de ce
fait un objectif de valeur constitutionnelle, la poursuite de cet objectif
permettait peut-être d'imposer l'usage du français aux gestionnaires de
services publics, comme l'avait fait le législateur de 1975, mais sûrement
pas de limiter la liberté d'expression et de communication de simples
particuliers, laquelle comprend à l'évidence le droit de choisir librement la
langue dans laquelle les personnes privées s'expriment dans leurs rapports
mutuels. L'objectif constitutionnel de
préservation de l'ordre public ne sauvera pas davantage la disposition
critiquée : on ne contestera pas que l'ordre public puisse englober notamment
la protection des intérêts du consommateur, laquelle suppose une information
claire et précise, mais celle-ci requiert seulement que les termes employés
soient intelligibles pour tous. Ainsi le législateur pourrait-il exiger,
d'une part, que les descriptions de produits et les publicités soient
diffusées en français, d'autre part, qu'elles ne comportent que des termes
d'usage courant (ce qui n'exclut pas la généralité des expressions empruntées
à une langue étrangère telles que " jeans ou week-end "), mais
certainement pas que soient systématiquement prohibés les termes pour
lesquels le Gouvernement aura imposé un équivalent français. Une chose est d'ailleurs d'imposer
l'usage du français là où il est nécessaire à la protection du salarié, du
consommateur, etc., et plus généralement à l'information claire du public (ce
qui explique que la saisine ne vise qu'une partie des dispositions de la loi
déférée), une autre est d'imposer l'emploi de tel ou tel terme, c'est-à-dire
de légiférer sur le contenu de la langue en décidant de ce que l'usage peut
ou non " importer " librement : dans le second cas, il y a
limitation du contenu même de la " communication des pensées et des
opinions ", ce que l'ordre public ne saurait justifier en l'espèce (à la
différence du cas des termes injurieux, diffamatoires ou racistes, par
exemple) et qui est donc inconstitutionnel. On ne saurait au surplus admettre
que des services gouvernementaux ou administratifs se voient ainsi remettre
par le législateur un pouvoir de censure linguistique. Sur ce point, la loi
déférée est d'ailleurs entachée non seulement de violation des libertés
précitées, mais aussi de méconnaissance des dispositions de l'article 34 de
la Constitution en ce qu'elle renvoie au pouvoir réglementaire, de manière
totalement inconditionnée, la définition des termes qu'il sera permis ou
défendu d'utiliser à des particuliers, laquelle constitue à l'évidence l'une
des garanties fondamentales des libertés d'expression et de communication. Ni
la notion de " termes de même sens " ni celle de " produits
typiques et spécialités d'appellation étrangère connus du plus large public
" ne peuvent être considérées comme définies par le législateur avec une
précision suffisante pour garantir contre l'arbitraire linguistique des
services administratifs. En ce qui concerne enfin un
éventuel conflit entre libertés de rangs équivalents, on ne peut qu'observer
que rien de tel n'a été allégué par le Gouvernement ni par sa majorité, et
qu'au demeurant on ne voit pas quelle liberté constitutionnellement protégée
souffre lorsqu'un Français décide de s'exprimer en une autre langue que la
sienne ou d'utiliser un mot emprunté à une langue étrangère. On peut certes
regretter la généralisation d'emplois impropres ou d'anglicismes malvenus encore
que, pour reprendre le mot célèbre de Malherbe, seul le peuple soit le "
souverain seigneur de la langue " , mais le bon sens devrait aisément
suggérer que le remède aux solécismes et au snobisme linguistique n'est pas
vraiment d'ordre normatif Vaugelas lui-même, dans la préface de ses "
Remarques sur la langue française ", prenait soin d'avertir son lecteur
: " Ce ne sont pas ici des lois que je fais pour notre langue [] ; je
serais bien téméraire, pour ne pas dire insensé ; car à quel titre et de quel
front prétendre un pouvoir qui n'appartient qu'à l'usage, que chacun
reconnaît pour le maître et le souverain des langues vivantes ? Mon dessein
n'est pas de réformer notre langue, ni d'abolir des mots, ni d'en faire.
" On ne saurait mieux dire ni juger
plus impitoyablement que par cette citation le contenu de la loi déférée qui
prétend, elle, " abolir des mots " et " en faire " et
même pire, en faire abolir et en faire faire par de simples autorités
gouvernementales ou administratives. De deux choses l'une : soit le
législateur feint ici d'ignorer que les mots contribuent à façonner les
pensées qu'ils véhiculent mais les prises de position du ministre et des
parlementaires de la majorité excluent cette hypothèse (voir par exemple le
sénateur Cluzel citant l'évocation par Raymond Queneau de l'empereur chinois
qui voulait changer la langue pour changer les murs, compte rendu analytique
des débats du Sénat du 26 mai 1994, page 11) , soit il s'agit d'organiser en
connaissance de cause une intervention officielle sur le contenu du langage,
de définir grâce au Dictionnaire officiel récemment publié une sorte de
" novlangue " techno-bureaucratique. Or, d'une part, cette démarche
laisse mal augurer de l'évolution qualitative de la langue française :
remplacer " le leader de ce lobby nous a livré un scoop " par
" le meneur de ce vestibule nous a livré une primeur " (ces
étranges équivalences étant malheureusement empruntées sans la moindre
déformation au Dictionnaire officiel qui deviendrait, si la loi déférée devait
entrer telle quelle en vigueur, une sorte de " Table linguistique de la
loi " pénalement sanctionnée) constitue plus une " désanglicisation
" qu'une " francisation " digne de ce nom ; d'autre part, le
Gouvernement et l'actuelle majorité parlementaire dépassent ici en
autoritarisme lexical Richelieu lui-même lequel n'osa pas confier à ses
subordonnés la confection du dictionnaire dans une proportion incompatible
avec le respect de la Constitution. L'article 1er de la loi déférée
porte ainsi aux libertés de communication et du commerce et de l'industrie
une atteinte trop générale et absolue, et en tout cas manifestement
disproportionnée au respect des objectifs qu'elle prétend poursuivre. L'article 2 de la loi déférée, qui
impose les mêmes normes pour toutes les inscriptions ou annonces faites ou
apposées dans un lieu ouvert au public et destinées à l'information du
public, encourt, mutatis mutandis, les mêmes griefs que son prédécesseur. On
se bornera à souligner notamment que cet article permettrait de sanctionner
un restaurateur ou un cafetier qui afficherait à la porte de son
établissement une publicité en anglais ou en allemand pour attirer les
touristes étrangers de passage et, à nouveau, on s'interrogera sur l'absence
totale de motifs d'ordre public justifiant de telles restrictions de la
liberté de communication et de la liberté d'entreprendre aussi
inconstitutionnelles que ridicules. L'article 3, qui vise les mentions,
annonces et invitations accompagnées de traductions en langues étrangères,
est lui aussi susceptible des mêmes critiques. On y ajoutera une violation
spécifique du principe constitutionnel d'égalité de traitement et du même
coup de l'article 34 de la Constitution dans la mesure où la loi déférée
renvoie à un règlement d'application pour définir le champ d'application de
dérogations applicables au " domaine des transports " et aux "
régions frontalières ". En ce qui concerne la première
notion, comment ne pas considérer, comme l'ont fait plusieurs parlementaires,
que la catégorie des transports ne pouvait sans discrimination faire l'objet
d'un traitement global, les entreprises de transports internationaux ne se
trouvant à l'évidence pas dans la même situation que les entreprises de
transports " intérieurs ". Il est d'ailleurs clair que la
spécificité de la situation des premières justifiait un traitement plus
rigoureux et non " dérogatoire " au sens d'un plus grand laxisme
que celui qui devait s'appliquer aux secondes : c'est en grande partie dans
les échanges internationaux que se joue la dimension réelle d'une langue.
Encore le législateur eût-il dû préciser, dans ces conditions, quelles
étaient les entreprises qui devaient relever d'un régime spécifique, le champ
d'application d'un régime restrictif de la liberté d'entreprendre ne pouvant
être discrétionnairement déterminé par le pouvoir réglementaire sans
violation de l'article 34 de la Constitution. Quant à la notion de " régions
frontalières ", elle n'est pas d'une plus grande précision, comme en ont
témoigné au Sénat les divergences répétées d'interprétation entre le ministre
et plusieurs parlementaires sur le point de savoir s'il s'agissait des
régions " administratives " le ministre soutenant que Périgueux,
par exemple, était concerné ou de régions " géographiques " plus
restreintes, ce que suggère le bon sens, mais qui n'est pas reconnu par la
législation en vigueur (le ministre a d'ailleurs fini par reconnaître le flou
régnant en la matière : voir le compte-rendu analytique des débats du Sénat
du 26 mai 1994, page 26). Or les conséquences de cette définition seront
capitales pour l'exercice des professions liées au tourisme soit dans
quelques zones limitées, soit dans plus de la moitié du territoire français,
selon l'interprétation retenue. IV.
Sur les articles 5 et 5 bis de la loi déférée L'article 5 impose l'usage du
français pour les programmes des colloques ou congrès organisés sur le
territoire français par des personnes de nationalité française, même privées
et n'assurant aucune mission de service public ; l'article 5 bis,
corrélativement, réserve les subventions publiques aux manifestations
scientifiques dont les actes sont publiés en langue française. Ce sont certainement ces articles
qui, devant les protestations vigoureuses de l'Académie des sciences et de
nombreux milieux scientifiques, ont fait l'objet des corrections les plus
" adoucissantes ", compte tenu des excès qui ont marqué le projet
de loi initial et certains amendements soutenus et parfois passagèrement
adoptés au cours des débats parlementaires. Toutefois, même dans sa forme
finale, l'article 5 continue à imposer à des personnes privées une
restriction de leur liberté d'expression et de communication que ne justifie
aucun impératif d'ordre public et qui menace en outre l'intensité et la
qualité des échanges scientifiques internationaux. La négation de la réalité
que constitue l'usage de l'anglais comme lingua franca scientifique
n'apportera rien à la promotion de la langue française mais risque au
contraire de handicaper (si l'usage de cet anglicisme reste licite) le
développement et la diffusion des travaux des chercheurs francophones, tant
il vrai que le mieux peut être ici l'ennemi du bien. Quant à l'article 5 bis,
il impose des critères d'attribution de subventions à la recherche qui, ne
prenant en rien en compte la qualité des travaux, sont constitutives d'une
rupture d'égalité inconstitutionnelle. V
Sur les articles 10 et 11 de la loi déférée La prohibition de l'emploi de
langues étrangères et même de termes étrangers dès lors qu'un " terme de
même sens " aura reçu un label gouvernemental d'exclusivité sémantique
frappe ici l'ensemble des émissions et des messages publicitaires communiqués
par tout organisme ou service, public ou privé, de radiodiffusion sonore ou
télévisuelle, quel qu'en soit le mode de diffusion ou de distribution, aux
seules exceptions des émissions cultuelles ce qui évite in extremis la
censure de la bénédiction pontificale de Noël , des œuvres
cinématographiques, audiovisuelles et, dans une certaine mesure, musicales,
ainsi que des programmes destinés à l'enseignement des langues étrangères ce
qui, là encore, ne pourra que rassurer. Il reste que la loi déférée
interdit par exemple de retransmettre ne fût-ce qu'un extrait fût-il
sous-titré d'un journal télévisé, d'un reportage ou d'une émission " de
plateau " de la BBC, sauf s'il s'agit d'une émission destinée à
l'apprentissage de l'anglais ou d'un sermon de l'archevêque de Canterbury. De
même, sera passible d'une amende (qui pourra s'élever à 1 000 F selon le
projet de décret communiqué aux commissions parlementaires) tout journaliste
sportif qui osera encore, dans le commentaire d'un " match de football
" (ou, peut-être, d'une confrontation de ballon au pied), parler d'un
" corner " alors que la puissance publique imposera désormais
l'expression, aussi commode qu'élégante, de " coup de pied de coin
". On retrouve une fois encore
l'inimitable mélange de ridicule et d'atteinte aux libertés d'expression et
de communication qui caractérise une bonne partie des dispositions de la loi
déférée, ainsi que l'" incompétence négative " qui résulte
nécessairement de l'abandon au pouvoir réglementaire de la définition de la
" novlangue " officielle imposée aux médias audiovisuels par les
" arrêtés de terminologie ". Quant à l'article 11 de la loi
déférée, il renvoie au pouvoir réglementaire la définition des règles que
devra faire respecter en la matière le Conseil supérieur de l'audiovisuel
sans autre précision, ce qui constitue une délégation de pouvoir
excessivement discrétionnaire et donc une nouvelle " incompétence
négative ". VI.
Sur l'article 12 de la loi déférée Cet article, qui interdit aux
personnes morales gestionnaires de services publics l'utilisation d'un terme
emprunté à une langue étrangère dans une marque de fabrique dès lors
qu'existerait " un terme français ou une expression française de même
sens ", encourt une partie des griefs précédents : certes, ne visant
parmi les personnes privées que celles qui gèrent un service public, il ne
porte pas une atteinte excessive à la liberté de communication ni à la
liberté d'entreprendre, mais il viole en revanche l'article 34 de la
Constitution en ce qu'il ne permet l'utilisation de termes étrangers qu'en
l'absence de termes " de même sens " approuvés, en l'absence de
définition législative ou même de critères méthodologiques législatifs, par
l'autorité réglementaire, laquelle reçoit à nouveau un pouvoir
discrétionnaire de censure linguistique. VII.
Sur l'article 15 de la loi déférée Il réprime le délit d'entrave à la
recherche et à la constatation des infractions à la loi déférée. Dans une
première rédaction, les peines édictées l'étaient expressément ; puis, un
amendement pudique a substitué à leur énoncé un simple renvoi au deuxième
alinéa de l'article 433-5 du code pénal. Il n'en reste pas moins que le fait
d'empêcher un agent habilité en la matière de constater qu'un restaurateur a
affiché un menu en anglais serait, si la loi déférée devait entrer en vigueur
dans son état actuel, désormais puni en France de 50 000 F d'amende et de six
mois d'emprisonnement par infraction constatée. Bien entendu, toute personne sensée
inclinera à penser que des dispositions aussi aberrantes ne seront pas plus
appliquées que celles de la loi du 31 décembre 1975, mais le bon sens des
magistrats ne saurait suffire à la garantie des libertés lorsqu'on leur
demande de s'abstenir d'appliquer une loi qu'ils ont pour mission de mettre
en œuvre, alors surtout que cette loi est là encore inconstitutionnelle. Il n'est en effet guère contestable
que le principe constitutionnel de proportionnalité des peines est pour le
moins fortement malmené par la disposition critiquée
de la loi déférée. Vainement, le ministre a-t-il tenté de justifier cette incroyable sévérité en alléguant une prétendue unicité du délit d'entrave, ou plutôt d'" outrage " : on ne saurait traiter identiquement les " entraves " aux actions des agents publics alors que certaines de ces actions sont indispensables à la sauvegarde de l'ordre public le plus élémentaire tandis que d'autres, comme en l'espèce, sont totalement indifférentes à la protection dudit ordre public. En outre et en tout état de cause, la disproportion entre la sévérité de la peine prévue et la bénignité de l'infraction incriminée est à peu près sans précédent et relève certainement de l'erreur manifeste d'appréciation. C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conformes à celle-ci les dispositions ci-dessus critiquées, lesquelles sont parfaitement divisibles, à la fois juridiquement et politiquement, du reste de la loi qui vous est déférée. Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération. La décision du conseil
constitutionnel
Le Conseil constitutionnel, Vu la Constitution ; Vu la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ; Vu le Préambule de la Constitution
du 27 octobre 1946 ; Vu la Constitution du 4 octobre
1958 ; Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7
novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code pénal ; Vu le code du travail ; Vu le code de la consommation ; Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre
1986 modifiée relative à la liberté de communication ; 1. Considérant que la loi relative
à l'emploi de la langue française prescrit sous réserve de certaines
exceptions l'usage obligatoire de la langue française dans les lieux ouverts
au public, dans les relations commerciales, de travail, dans l'enseignement
et la communication audiovisuelle ; qu'elle n'a toutefois pas pour objet de
prohiber l'usage de traductions lorsque l'utilisation de la langue française
est assurée ; qu'elle comporte des dispositions destinées à garantir la
présence de la langue française dans les manifestations, colloques et congrès
organisés en France et dans les publications, revues et communications
diffusées sur le territoire national ; que les dispositions qu'elle comporte
sont assorties de diverses sanctions ; 2. Considérant que les députés,
auteurs de la saisine, font valoir que sont contraires à la Constitution les
articles 2, 3, 4, 6, 7, 12, 13, 14 et 17 de cette loi ; qu'ils soutiennent
que la loi porte atteinte au principe de libre communication des pensées et
des opinions, à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de
l'industrie ainsi qu'à la liberté de l'enseignement ; qu'ils affirment en
outre que la loi viole le principe d'égalité ainsi que le principe de
proportionnalité des peines ; qu'ils allèguent que le législateur a méconnu
la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution en renvoyant au
pouvoir réglementaire la fixation de règles concernant les garanties
nécessaires au respect des libertés susmentionnées ; qu'ils invoquent enfin
des méconnaissances de l'article 40 de la Constitution ; -
SUR LE GRIEF TIRE DE L'INCONSTITUTIONNALITE DU RENVOI PAR LA LOI A L'USAGE
OBLIGATOIRE DE CERTAINS TERMES OU EXPRESSIONS DEFINIS PAR VOIE REGLEMENTAIRE
: 3. Considérant que les auteurs de
la saisine font grief aux articles 2, 3, 12 et 14 de la loi d'imposer, non
seulement l'emploi de la langue française, mais aussi l'usage de termes ou
expressions officiels approuvés par des arrêtés ministériels pris sur
proposition de commissions de terminologie auprès des administrations de
l'État ; qu'ainsi ils mettent en cause les dispositions prohibant : "le
recours à tout terme étranger ou à toute expression étrangère... lorsqu'il
existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les
conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à
l'enrichissement de la langue française" ; que, selon eux, ces
dispositions, en tant qu'elles s'appliquent à des particuliers ou à des organismes
et services de radiodiffusion sonore ou télévisuelle portent atteinte à la
liberté de communication garantie par l'article 11 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen ; que s'agissant d'interdictions touchant aux
relations commerciales, elles portent également atteinte à la liberté
d'entreprendre et à la liberté, selon eux de valeur constitutionnelle, du
commerce et de l'industrie ; qu'ils soutiennent au surplus qu'en renvoyant au
pouvoir réglementaire la définition des termes qu'il sera permis ou défendu
aux personnes de droit privé concernées d'utiliser, même lorsque celles-ci
n'assurent pas un service public, le législateur a méconnu la compétence
qu'il tient de l'article 34 de la Constitution ; qu'il en va de même
s'agissant de l'obligation faite aux organismes et services de radiodiffusion
sonore ou télévisuelle d'utiliser cette terminologie officielle, sous le
contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel ; qu'ils allèguent des
violations du principe d'égalité entre entreprises "francophones"
et celles qui ne le sont pas et, dans leur mémoire en réplique, entre
secteurs d'activité selon qu'ils sont ou non concernés par des arrêtés de
terminologie, et en outre entre la presse et l'édition d'une part et la
communication audiovisuelle d'autre part ; 4. Considérant que l'article 11 de
la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen proclame : "La libre
communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux
de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf
à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la
loi" ; 5. Considérant que s'il incombe au
législateur, compétent, aux termes de l'article 34 de la Constitution, pour
fixer "les règles concernant les droits civiques et les garanties
fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés
publiques", d'édicter des règles concernant l'exercice du droit de libre
communication et de la liberté de parler, d'écrire et d'imprimer, il ne
saurait le faire, s'agissant d'une liberté fondamentale, d'autant plus
précieuse que son existence est une des garanties essentielles du respect des
autres droits et libertés, qu'en vue d'en rendre l'exercice plus effectif ou
de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle
; 6. Considérant qu'au nombre de ces
règles, figure celle posée par l'article 2 de la Constitution qui dispose :
"La langue de la République est le français" ; qu'il incombe ainsi
au législateur d'opérer la conciliation nécessaire entre ces dispositions
d'ordre constitutionnel et la liberté de communication et d'expression
proclamée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen ; que cette liberté implique le droit pour chacun de choisir les
termes jugés par lui les mieux appropriés à l'expression de sa pensée ; que
la langue française évolue, comme toute langue vivante, en intégrant dans le
vocabulaire usuel des termes de diverses sources, qu'il s'agisse
d'expressions issues de langues régionales, de vocables dits populaires, ou
de mots étrangers ; 7. Considérant qu'il était loisible
au législateur d'imposer dans les cas et conditions qu'il a prévus l'usage de
la langue française, ce qui n'exclut pas l'utilisation de traductions ; 8. Considérant que s'agissant du
contenu de la langue, il lui était également loisible de prescrire, ainsi
qu'il l'a fait, aux personnes morales de droit public comme aux personnes de
droit privé dans l'exercice d'une mission de service public l'usage
obligatoire d'une terminologie officielle ; 9. Considérant que toutefois, eu
égard à la liberté fondamentale de pensée et d'expression proclamée par
l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il ne
pouvait imposer, sous peine de sanctions, pareille obligation aux organismes
et services de radiodiffusion sonore et télévisuelle qu'ils soient publics ou
privés ; 10. Considérant par ailleurs que le
législateur ne pouvait de même sans méconnaître l'article 11 précité de la
Déclaration de 1789 imposer à des personnes privées, hors l'exercice d'une
mission de service public, l'obligation d'user, sous peine de sanctions, de
certains mots ou expressions définis par voie réglementaire sous forme d'une
terminologie officielle ; 11. Considérant qu'il résulte de ce
qui précède que sont contraires à la Constitution le deuxième alinéa de
l'article 2 relatif à des pratiques commerciales et la seconde phrase du
premier alinéa de l'article 3 concernant la voie publique, les lieux ouverts
au public et les transports en commun en tant qu'ils s'appliquent à des
personnes autres que les personnes morales de droit public et les personnes
privées dans l'accomplissement d'un service public ; 12. Considérant en outre que pour
les mêmes motifs et dans les mêmes limites, s'agissant de dispositions
concernant les relations du travail, sont contraires à la Constitution la
seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 8, la deuxième phrase du
deuxième alinéa et la deuxième phrase du quatrième alinéa de l'article 9 et
au huitième alinéa de ce même article les mots : "...ou contenant une
expression ou un terme étrangers lorsqu'il existe une expression ou un terme
français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les
dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue
française..." ainsi que dans la deuxième phrase du deuxième alinéa de
l'article 10 les mêmes mots "... ou contenant une expression ou un terme
étranger, lorsqu'il existe une expression ou un terme français de même sens
approuvés dans les conditions prévues par les dispositions relatives à
l'enrichissement de la langue française." ; 13. Considérant que les
dispositions précitées des articles 2, 3, 8, 9 et 10 n'opèrent aucune
distinction entre d'une part les personnes morales de droit public et les
personnes privées dans l'exercice d'une mission de service public et d'autre
part les autres personnes privées ; que dès lors, eu égard au caractère
indissociable de leur formulation, elles doivent être déclarées dans leur
ensemble contraires à la Constitution ; 14. Considérant qu'il résulte
également de ce qui précède que le cinquième alinéa de l'article 12 de la loi
doit être déclaré contraire à la Constitution ; 15. Considérant en revanche que le
grief invoqué doit être écarté s'agissant de l'article 14 relatif aux marques
de fabrique, de commerce ou de service dès lors qu'il ne s'applique qu'aux
personnes morales de droit public et aux personnes morales de droit privé
chargées d'une mission de service public dans l'exécution de celle-ci ; -
SUR LES GRIEFS RELATIFS A L'ARTICLE 4 DE LA LOI : 16. Considérant que les députés,
auteurs de la saisine, mettent en cause la possibilité qui serait ménagée par
la loi de déroger aux obligations qu'elle impose d'une part s'agissant des
régions frontalières d'autre part dans le domaine des transports en faisant
valoir à cet égard que "la catégorie des transports ne pouvait sans
discrimination faire l'objet d'un traitement global" qui ne tiendrait
pas compte de la spécificité des transports internationaux ; que contrairement
à ce qu'ils affirment, la loi se borne à prévoir des dérogations au seul
bénéfice des entreprises de transports internationaux ; qu'ainsi les moyens
invoqués manquent en fait ; -
SUR LES GRIEFS RELATIFS AUX ARTICLES 6 ET 7 DE LA LOI : . En ce qui concerne l'article 6 : 17. Considérant que les députés
auteurs de la saisine soutiennent qu'en imposant l'usage du français pour les
programmes des colloques ou congrès organisés sur le territoire français par
des personnes de nationalité française même privées et n'assurant aucune
mission de service public, l'article 6 de la loi porte atteinte à la liberté
de communication ; que dans leur mémoire en réplique, ils font valoir en
outre une violation de la liberté de l'enseignement et invoquent une méconnaissance
de l'article 40 de la Constitution dès lors que la loi dans sa rédaction
issue d'un amendement parlementaire fait obligation aux personnes morales de
droit public ou aux personnes morales de droit privé chargées d'une mission
de service public qui sont à l'initiative des manifestations visées audit
article de mettre en place un dispositif de traduction ; 18. Considérant d'une part que le
Conseil constitutionnel ne peut être saisi de la conformité de la procédure
aux dispositions restreignant le droit d'amendement en application de
l'article 40 de la Constitution que si la question de la recevabilité de
l'amendement dont il s'agit a été soulevée devant l'assemblée parlementaire
concernée ; qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi qu'elle ne l'a
pas été ; que dès lors ce moyen ne peut qu'être écarté ; 19. Considérant d'autre part que
ledit article se borne à conférer à "tout participant à une
manifestation, un colloque ou un congrès organisé en France par des personnes
physiques ou morales de nationalité française... le droit de s'exprimer en
français" ; qu'il impose certes également la rédaction d'une version en
français du programme distribué aux participants ainsi que l'établissement
d'au moins un résumé en français de tous les autres documents afférents à ces
manifestations ; que toutefois ces prescriptions, y compris celle qui rend
obligatoire la mise en place d'un dispositif de traduction, n'imposent pas de
restrictions telles qu'elles soient de nature à porter atteinte à l'article
11 de la Déclaration des Droits de l'homme non plus qu'à aucun autre principe
ou règle de valeur constitutionnelle ; . En ce qui concerne l'article 7 : 20. Considérant que les députés
auteurs de la saisine mettent en cause en premier lieu le premier alinéa de
cet article qui impose pour certaines publications, revues et communications
un résumé en français des textes rédigés en langue étrangère ; qu'ils
invoquent en outre l'inconstitutionnalité du second alinéa de cet article qui
subordonne l'octroi par une personne publique de toute aide à des travaux
d'enseignement ou de recherche à l'engagement pris par les bénéficiaires
d'assurer une publication ou une diffusion en français de leurs travaux ou
d'effectuer une traduction en français des publications en langue étrangère
auxquelles ils donnent lieu, sauf dérogation accordée par le ministre de la
recherche ; qu'ils font valoir que l'ensemble de ces dispositions de
l'article 7 portent atteinte à la liberté d'expression et de communication
des intéressés et conduisent à une rupture d'égalité en imposant des critères
d'attribution de subventions ne prenant pas en compte la qualité des travaux
concernés ; qu'ils ajoutent dans leur mémoire en réplique qu'elles portent
atteinte à la liberté de l'enseignement et méconnaissent l'article 40 de la
Constitution ; 21. Considérant que faute d'avoir
été soulevé devant l'assemblée parlementaire concernée, le moyen tiré d'une
méconnaissance de l'article 40 de la Constitution ne saurait en tout état de
cause qu'être écarté ; 22. Considérant que les
dispositions précitées de l'article 11 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen impliquent que soit garantie la liberté d'expression et
de communication dans l'enseignement et la recherche ; que toutefois cette
liberté doit être conciliée avec les autres droits et principes à valeur
constitutionnelle ; 23. Considérant que le premier
alinéa de l'article 7 n'apporte pas aux principes posés par l'article 11 de
la Déclaration de 1789 des restrictions de nature à en méconnaître la portée
; 24. Considérant en revanche que
même compte tenu des dispositions sus évoquées de l'article 2 de la
Constitution, le législateur a imposé, par le second alinéa de l'article 7,
aux enseignants et chercheurs, qu'ils soient français ou étrangers, des
contraintes de nature à porter atteinte à l'exercice de la liberté
d'expression et de communication dans l'enseignement et la recherche ; que la
faculté d'accorder des dérogations conférée au ministre de la recherche qui
n'est assortie d'aucune condition relative notamment à l'appréciation de
l'intérêt scientifique et pédagogique des travaux, ne constitue pas une
garantie suffisante pour préserver cette liberté ; que dès lors le second
alinéa de l'article 7 de la loi doit être regardé comme contraire à la
Constitution ; -
SUR L'ARTICLE 13 DE LA LOI : 25. Considérant que cet article se
borne à garantir que seront prises sous la responsabilité du Conseil
supérieur de l'audiovisuel pour leur détermination ou leur application des
dispositions propres à assurer "le respect de la langue française et le
rayonnement de la francophonie" dans le fonctionnement des services de
télévision et de radiodiffusion sonore ; que dès lors qu'elles ne peuvent
impliquer, compte tenu de ce qui précède, que soit imposé l'emploi de
certains termes prescrits par voie réglementaire, elles ne sont pas en
elles-mêmes susceptibles de porter atteinte à la liberté de communication
dont le Conseil supérieur de l'audiovisuel doit assurer le respect sous le
contrôle du juge ; qu'elles ne méconnaissent pas non plus la compétence
conférée au législateur par l'article 34 de la Constitution ; -
SUR L'ARTICLE 17 DE LA LOI : 26. Considérant que cet article
réprime l'entrave à l'accomplissement des missions des agents chargés de
rechercher et de constater les infractions à la loi en se référant aux peines
prévues au second alinéa de l'article 433-5 du Code pénal, c'est-à-dire 50
000 Francs d'amende et 6 mois d'emprisonnement ; que les auteurs de la
saisine font valoir que ces punitions sont d'une sévérité excessive et
qu'ainsi l'article 17 de la loi méconnaît le principe de proportionnalité des
peines ; 27. Considérant que si, selon
l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, "la
loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment
nécessaires", il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de
substituer sa propre appréciation à celle du législateur en ce qui concerne
la nécessité des peines attachée aux infractions dès lors qu'il n'y a pas de
disproportion manifeste entre ces dernières et les sanctions infligées ; 28. Considérant que les peines
prévues par cet article, qui peuvent être prononcées pour un montant ou une
durée inférieurs par la juridiction compétente, ne sont pas entachées de
disproportion manifeste ; 29. Considérant qu'il n'y a pas
lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office d'autres questions
de conformité à la Constitution s'agissant des dispositions de la loi
soumises à son examen ; Décide
: Article premier : Sont déclarés contraires à la
Constitution : à l'article 2, le deuxième alinéa ;
à l'article 3, la deuxième phrase
du premier alinéa ; à l'article 7, le deuxième alinéa ;
à l'article 8, la deuxième phrase
du deuxième alinéa ; à l'article 9, la deuxième phrase
du deuxième alinéa et la deuxième phrase du quatrième alinéa, ainsi qu'au
huitième alinéa, les mots : " ou contenant une expression ou un terme
étrangers lorsqu'il existe une expression ou un terme français de même sens
approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires
relatives à l'enrichissement de la langue française " ; à l'article 10, au deuxième alinéa,
les mots : " ou contenant une expression ou un terme étrangers,
lorsqu'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés
dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à
l'enrichissement de la langue française. " ; à l'article 12, le cinquième
alinéa. Article 2 : La présente décision sera publiée
au Journal officiel de la République française. Délibéré par le Conseil
constitutionnel dans sa séance du 29 juillet 1994. Le président, Robert BADINTER Références
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Staeffen, Veronique o
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