BAUX D’HABITATION ET MIXTES

DIVISION PROJETÉE DE LA PROPRIÉTÉ D’UN IMMEUBLE

CONGÉ ET OFFRE DE VENTE (DROIT DE PRÉEMPTION DU LOCATAIRE°

RÈGLEMENT DE COPROPRIÉTÉ NON ÉTABLI

VALIDITÉ DE L’OFFRE DE VENTE (OUI)

 

Cour de Cassation civile 3e    21 juin 2000                                     Rejet.

 

N° de pourvoi : 98-14043

Décision attaquée :Cour d’appel de Reims, 1998-01-13

 

 

Sur le moyen unique :

 

Attendu, selon l’arrêt attaqué, statuant sur renvoi après cassation, que la société Via assurance vie, aux droits de laquelle se trouve la société Allianz vie (société Allianz), propriétaire d’un groupe d’immeubles, a fait délivrer le 27 février 1989, à un certain nombre de locataires, dont Mme Chrapowicka, un congé pour vendre au visa de l’article 22 de la loi du 23 décembre 1986 et de l’article 11 de la loi du 22 juin 1982 ; que la bailleresse a fait assigner Mme Chrapowicka pour faire déclarer le congé valable ;

 

Attendu que la société Allianz fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen que, pour les baux d’habitation en cours au 23 février 1986, le congé donné par le bailleur pour vendre le logement devait indiquer “ le motif allégué “ et “ le prix et les conditions de la vente projetée “ ; que dans la mesure où l’offre portait nécessairement sur un logement dont le locataire avait une parfaite connaissance puisqu’il l’occupait, aucun texte n’imposait au bailleur de préciser les accessoires de la chose louée offerte à la vente tels qu’une cave ou le nombre de millièmes dans les parties communes ; qu’il résulte de l’arrêt attaqué que le congé pour vendre délivré le 27 février 1989 par le bailleur à Mme Chrapowicka, avec effet au 30 juin 1989, précisait notamment que l’appartement visé était “ sis au 6e étage, portant le n° 33, type F 4, surface de 91,19 mètres carrés et un emplacement de parking portant le n° 9 “, qu’en jugeant cependant, malgré ces précisions, que l’offre comprise dans le congé litigieux n’était “ ni précise ni dépourvue d’équivoque quant à son objet “ parce qu’elle n’indiquait pas qu’elle incluait la cave louée à Mme Chrapowicka et quelles parties communes seraient attachées à ce lot, l’état descriptif de division et le règlement de copropriété n’ayant pas encore été établis à la date du congé, la cour d’appel a ajouté aux articles 22 de la loi du 23 décembre 1986 et 11 de la loi du 22 juin 1982 une condition que ces textes ne posent pas, violant ainsi lesdits articles ;

 

Mais attendu qu’ayant constaté que le congé, qui visait un appartement sis au 6e étage, portant le n° 33, type F 4, d’une surface de 91,19 mètres carrés et un emplacement de parking portant le n° 9, ne faisait pas mention d’une cave mise à la disposition de la locataire, la cour d’appel a pu en déduire, abstraction faite d’un motif erroné mais surabondant relatif à l’absence d’état descriptif de division et de règlement de copropriété au moment du congé, que l’offre comprise dans celui-ci ne correspondait pas aux locaux loués ;

 

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

 

PAR CES MOTIFS :

 

REJETTE le pourvoi.

 

 

 

COMMENTAIRES /

 

Note 05/04/2006 :  Le projet de loi relatif à la « vente à la découpe », actuellement en cours de discussion au Parlement, comporte l’obligation de notifier le projet de procès-verbal au locataire.

 

L’arrêt rapporté traite d’une question relative au régime des baux d’habitation mais il a sa place dans une rubrique consacrée à la copropriété.

En l’espèce un bailleur a donné congé pour vendre au locataire d’un appartement dépendant d’un immeuble promis à la division en copropriété. Promis ? C’est dire que le règlement de copropriété et l’état descriptif de division n’ont pas encore été établis. Une particularité de l’espèce est que le bailleur a omis de mentionner une cave qui était mise à la disposition du preneur.

Le bailleur a assigné en validité du congé. La Cour d’appel, - statuant sur renvoi après cassation -,  a rejeté cette demande pour les deux motifs sus indiqués : pas d’indication de la cave et non-établissement préalable du règlement de copropriété et de l’état descriptif de division.

La Cour de cassation rejette le second pourvoi au motif principal de l’absence de mention de la cave. Mais les spécialistes du droit de la copropriété relèvent qu’elle a pris le soin d’évoquer « un motif erroné mais surabondant relatif à l’absence d’état descriptif de division et de règlement de copropriété au moment du congé ».

Madame Vial-Pedroletti [1] n’a pas manqué de relever l’importance de cette mention. Elle fait le point de la controverse en cours : le bailleur procédant à la division de la propriété de son immeuble doit-il établir le règlement de copropriété et l’état descriptif de la future copropriété avant de faire l’offre de vente aux locataires en place prévue par les articles 22 de la loi du 23 décembre 1986 et 11 de la loi du 22 juin 1982 ?

La 6e Chambre B de la Cour d’appel de Paris a répondu par l’affirmative, estimant que le règlement de copropriété, au moins, fait partie des « conditions de la vente » au sens de l’article 15-II, alinéa 1 de la loi du 6 juillet 1989 [2].  

La 6e Chambre C de la même Cour a répondu par la négative [3] : «  ces documents n’ont pas d’incidence sur l’identification de chacun des lots concernés, ni sur les conditions de la vente, qui s’entendent des modalités de paiement du prix ».

 

Force est de constater qui si l’on reste dans le cadre strict du statut des baux d’habitation, cette affirmation est exacte. La controverse semble alors sans objet alors qu’intuitivement on a le sentiment d’une information insuffisante du destinataire de l’offre.

 

Il faut revenir au droit commun pour transformer cette intuition en vérité objective. L’offre de vente prévue par la loi du 6 juillet 1989 reste par ailleurs soumise au droit commun des offres contractuelles tel qu’il est fixé par le Code civil.

Il impose aussi bien des conditions de fond liées à la théorie des vices consentement qu’une obligation de renseignement plus particulièrement liée à la protection du consommateur. Comment admettre que la protection des locataires, acquéreurs potentiels d’un bien d’une particulière importance, ne mériteraient pas une protection accordée aux acquéreurs de biens courants ? d’autant que par ailleurs une protection sourcilleuse leur est accordée par la législation des baux d’habitation.

On peut affirmer que les qualités substantielles d’un lot de copropriété ne s’entendent pas seulement de l’emplacement et du standing de l’immeuble. Le règlement de copropriété fixe et énonce d’autres qualités substantielles des lots d’une copropriété : destination générale de l’immeuble et destination particulière du lot s’il y a lieu, quotes-parts diverses attachées au lot, tant pour la contribution aux charges que pour le « poids » du propriétaire dans les assemblées générales, etc.

Sur ces qualités substantielles, la protection de l’acquéreur est donc justifiée, alors surtout que ces opérations de division sont effectuées dans la plupart des cas par ou avec le concours d’un professionnel immobilier.

 

La situation a-t-elle évolué depuis l’arrêt rapporté ? On peut se référer en premier lieu à une étude approfondie publiée en 2004 par Madame Elisabeth Grimaux [4] 

Elle note en premier lieu la résistance opiniâtre de certaines juridictions du fond qui jugent nécessaire l’établissement du règlement de copropriété avant le congé et son visa dans l’acte.

Mais elle aborde surtout l’extension du débat «  au terrain plus vaste du droit de la vente » pour examiner successivement l’indétermination de l’objet de la vente et l’imprécision de l’offre de vente.

Dans un arrêt du 26 avril 2001 [5] la 6e Chambre B de la Cour d’appel de Paris affirme que le bailleur ne peut offrir à la vente un lot non créé. Il en résulte que la vente est privée d’objet ; Cet arrêt a été cassé [6] . La Cour de cassation se borne à indiquer qu’en l’absence de règlement de copropriété, l’objet de la vente [peut] être déterminé.

L’auteur regrette que, face à l’obstination contestable de la Cour de cassation, les praticiens n’aient pas tenté d’invoquer au moins l’imprécision de l’offre de vente. On peut se référer à cette remarquable étude de droit pur dont la conclusion reste pourtant pratique. Il est vivement conseillé aux bailleurs vendeurs d’établir les actes avant de délivrer congé.

Depuis lors, à notre connaissance, la Cour de cassation, a tenu à maintenir apparemment sa position en statuant sur un cas différent [7]  dans lequel le règlement de copropriété existait à la date du congé. Le litige portant sur la détermination exacte des biens visés dans le congé, elle a jugé que « la cour d’appel, qui en a déduit que l’offre de vente comprise dans le congé correspondait aux seuls locaux loués et a exactement retenu que le congé n’avait pas à être accompagné du règlement de copropriété ni de l’état descriptif de division, a, abstraction faite d’un motif surabondant, légalement justifié sa décision de ce chef ».

 

En attendant un arrêt dit « de principe », les praticiens de la copropriété pourront s’inspirer des travaux doctrinaux concernant cette controverse pour mieux cerner la nature juridique du règlement de copropriété dont les clauses doivent être considérées comme des qualités substantielles de chacun des lots.

 

 

 

 

 

Mise à jour

05/04/2006

 

 



[1] Loyers et copropriété septembre 2000 n° 189

[2] CA Paris 6 B 04/03/1999 Loyers et copropriété 1999 n° 147

[3] CA Paris 6 C 20/05/1997 Loyers et copropriété 1997 n° 226

[4] Elisabeth Grimaux Le contenu du congé pour vendre … Loyers et copropriété janvier 2004 Chronique p. 4

[5] CA Paris 6e B 26 avril 2001 AJDI 2001 p. 884

[6] Cass. civ. 22/01/2003 Loyers et copropriété 2003 n° 86.

[7] Cass. civ. 3e 19/10/2005  n° 04-17039