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Rétroactivité
de la loi Immixtion d’une loi
d’application rétroactive Incidence sur l’issue
d’actions en cours entre personnes privées Absence de raisons
impérieuses d’intérêt général (oui) Violation de l’art. 6 § 1 de la Convention européenne des droits de
l’homme Responsabilité du
législateur (oui) L’arrêt
n’étant disponible qu’en anglais, nous reproduisons ci-dessous le texte du
communiqué de presse. Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) 14 Février 2012 N° 17972 Aff. Arras et autres / Italie Résumé : L’immixtion du législateur dans des litiges en cours devant
le juge italien n’a pas respecté l’égalité des armes Dans son arrêt de
chambre, non définitif1, rendu ce jour dans l’affaire Arras et autres c.
Italie (requête no 17972/07),
la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu : Violation
de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention
européenne des droits de l’homme. L’affaire concernait des modifications
législatives qui avaient eu une incidence sur des actions civiles en cours
formées par les requérants concernant l’ajustement de leurs pensions de
retraite. Principaux faits Les requérants,
Antonio Arras, Celestina Dede, Alessandro Dessi et Bachisio Zizi, sont des
ressortissants italiens nés respectivement en 1939, 1933, 1933 et 1925. MM.
Arras et Dessi sont aujourd’hui décédés. Ils sont ou étaient tous retraités
(partis à la retraite avant le 31 décembre 1990) et anciens employés de la
Banco di Napoli, un groupe bancaire anciennement public et aujourd’hui privatisé. Avant 1990, la Banco
di Napoli était soumise à un régime social exclusif faisant bénéficier ses
employés d’un mécanisme de péréquation plus avantageux que celui du système
général obligatoire de sécurité sociale. En particulier, leur pension de retraite
annuelle était calculée sur la base de la hausse des salaires des employés
actifs de même grade (perequazione aziendale). Avec la privatisation
des banques publiques en 1990, les régimes de retraite exclusifs furent
remplacés par des régimes intégrés. Une autre réforme partielle des retraites
intervint en 1992. En 1993, plusieurs
anciens employés entrèrent en conflit avec la Banco di Napoli concernant
l’application de certaines dispositions de la nouvelle loi (de 1992), trop
extensivement interprétées selon eux. La banque cherchait à supprimer le
système de perequazione aziendale, ce qui signifiait une réduction du
montant des pensions à verser, également à l’égard des personnes déjà parties
à la retraite. Des retraités dans la
situation des requérants formèrent une action au civil pour s’opposer à la
Banco di Napoli, demandant au juge de dire que, déjà partis à la retraite à
la date de l’entrée en vigueur les lois de 1992, ils avaient un droit au
maintien du système de la perequazione aziendale et d’ordonner à la
Banco di Napoli de leur verser les sommes non payées par elle. Ils obtinrent
gain de cause devant différentes juridictions, y compris la Cour de cassation
et plus particulièrement sa formation la plus solennelle. 1 Conformément aux
dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre
n’est pas définitif. Dans un délai de trois mois à compter de la date de son
prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande
Chambre de la Cour. En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si
l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se
saisira de l’affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande de renvoi
est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet. Dès qu’un arrêt devient
définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui
en surveille l’exécution. Des renseignements supplémentaires sur le processus
d’exécution sont consultables à l’adresse suivante : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution. 2 Les réformes
législatives ultérieures conduisirent à l’adoption de la loi no 243/04, qui retirait
aux anciens employés de la Banco di Napoli le bénéfice du système de la perequazione
aziendale, avec effet rétroactif à partir de 1992. En 1996, les
requérants formèrent des recours en justice analogues à ceux déjà introduits
par d’autres retraités. Le tribunal de Naples et la cour d’appel de Naples
leur donnèrent gain de cause. La Cour de cassation infirma leurs décisions en
2006 et conclut que l’instance d’appel n’avait pas pu tenir compte de la loi
no 243/04, qui n’était
pas encore en vigueur à la date de l’arrêt d’appel et était une loi
d’interprétation avec application rétroactive. Ce texte prévoyait que, à
partir de 1994, une perequazione legale (hausse selon le niveau de
vie) devait s’appliquer à « tous » les retraités, quelle que soit la date de
leur départ à la retraite. En 2007, la Cour de
cassation saisit la Cour constitutionnelle dans le cadre de deux affaires
civiles distinctes. La Cour constitutionnelle confirma la légitimité de la
loi no 243/04 ainsi que sa
nature interprétative, qui ressortait également d’une jurisprudence
antérieure. Selon elle, ce texte était raisonnable en ce qu’il visait à
assurer un traitement égal et homogène à tous les retraités soumis aux
régimes intégrés alors en vigueur. Griefs, procédure et composition de la CourInvoquant l’article 6 § 1 (droit à
un procès équitable), l’article 14 (interdiction de la discrimination) et
l’article 1 du Protocole no 1 (protection de la propriété), les requérants se
plaignaient d’une immixtion du législateur dans leurs actions en justice. La requête a été
introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 20 avril 2007. L’arrêt a été rendu
par une chambre de sept juges composée de : Françoise Tulkens (Belgique),
présidente, Danutė Jočienė (Lituanie), Dragoljub
Popović (Serbie), Işıl Karakaş (Turquie),
Guido Raimondi (Italie), Paulo Pinto de Albuquerque (Portugal),
Helen Keller (Suisse), juges, ainsi que de Stanley Naismith,
greffier de section. Décision de la
Cour
Question préliminaire La Cour accepte que,
pour les besoins de la cause, les ayants droit de MM. Arras et Dessi
poursuivent la requête initialement introduite par leurs proches décédés. Article 6 La question soulevée
par les requérants en l’espèce se rapporte essentiellement à l’équité de leur
procès et la Cour estime que la responsabilité de l’État a été mise en jeu
tant en sa qualité de législateur, dont l’action a eu une incidence sur
l’issue judiciaire du litige, qu’en sa qualité d’instance judiciaire devant
laquelle le droit à un procès équitable a été violé, fût-ce dans le cadre de
différends de droit privé entre particuliers. 3 L’adoption de la loi
no 243/04 a eu en réalité
une incidence sur l’issue de ces litiges au fond et son application par les
divers tribunaux de droit commun a rendu vaine la poursuite de leurs actions
par un groupe entier d’individus dans la situation des requérants. Dès lors,
on ne pouvait pas parler d’égalité des armes entre les deux parties privées
étant donné que l’État s’était prononcé en faveur de l’une des deux en
faisant adopter la loi dénoncée. La Cour rappelle que seules des raisons
impérieuses d’intérêt général peuvent justifier l’immixtion du législateur
dans l’administration de la justice. Si
l’harmonisation du régime des retraites peut passer dans une certaine mesure
pour une raison d’intérêt général, elle n’est pas suffisamment impérieuse
pour écarter les dangers inhérents au recours à une loi rétroactive. En
l’absence d’une telle raison, capable de justifier l’immixtion que constitue
une loi d’application rétroactive et statuant sur l’issue d’actions en cours
entre personnes privées, la Cour conclut à la violation de l’article 6 §
1. Article
14
Les requérants
soutiennent que, alors que les personnes ayant atteint l’âge de la retraite
et les personnes encore actives se trouvent dans des situations différentes,
les réformes les ont mises sur le même pied. La Cour estime objective et
raisonnable la justification avancée par le Gouvernement pour ne pas opérer
de distinction dans la loi entre ces deux catégories de personnes. La Cour
constate que la loi no 243/04
visait à assurer une égalité de traitement entre tous les retraités et elle
rappelle la marge d’appréciation étendue généralement accordée aux Etats
contractants en matière de politique économique et sociale. Les requérants se
disent par ailleurs victimes d’une discrimination par rapport aux autres
retraités employés antérieurement par d’autres anciennes banques publiques.
La Cour relève que, au regard de l’historique du système italien, les
employés de la Banco di Napoli ne peuvent être considérés comme se trouvant
dans une situation analogue à celle des employés d’autres banques publiques. Pour ce qui est de
l’allégation des requérants selon laquelle une autre discrimination
existerait entre les retraités de la Banco di Napoli dont l’action en justice
avait pris fin avant la nouvelle jurisprudence et ceux dont l’action était
encore en cours, la Cour estime que, surtout compte tenu de la marge
d’appréciation étendue accordée aux Etats en la matière, la date d’entrée en
vigueur des nouvelles règles peut passer pour raisonnablement et
objectivement justifiée. Dès lors, la Cour
rejette, pour défaut manifeste de fondement, les griefs soulevés par les
requérants sur le terrain de l’article 14. Article 1 du Protocole
no 1 Rappelant que les
autorités nationales sont mieux placées pour dire ce qui est conforme à l’«
intérêt général », la Cour reconnaît que l’adoption de la loi no 243/04 était motivée
par la considération d’intérêt général que représente l’harmonisation du
système de retraite par un traitement égal assuré à tous les retraités. Si elle souligne le
contexte particulier des régimes de sécurité sociale, qui sont l’expression
de la solidarité manifestée par la société à l’égard de ses membres
vulnérables, la Cour constate que la loi no 243/04 n’a pas touché à la pension de base des
requérants, mais que c’est seulement l’augmentation la plus favorable en
vertu de la perequazione aziendale qui a été abolie. Dès lors, la
loi no 243/04 a eu pour effet non pas de vider de sa substance même le
droit à la retraite des requérants mais de soumettre les personnes visées au
même régime et 4 d’éviter les avantages injustifiés. Compte tenu de la marge
d’appréciation étendue des Etats membres en matière de réglementation de
leurs systèmes de retraite et du caractère proportionné des réductions de
pensions subies par les requérants, la Cour considère qu’aucune charge
excessive n’a pesé sur eux. Elle rejette donc, pour défaut manifeste de
fondement, leurs griefs soulevés sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1. Article
41
En vertu de l’article
41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour dit que l’Italie doit
verser : - pour dommage
matériel et dommage moral : 9 000 euros (EUR) conjointement aux ayants droit
de M. Arras ; 5 500 EUR à M. Dede ; 6 000 EUR conjointement aux ayants droit
de M. Dessi et 30 000 EUR à M. Zizi. - pour frais et dépens
: 19 000 EUR conjointement aux requérants. L’arrêt n’existe qu’en
anglais. Rédigé par le greffe,
le présent communiqué ne lie pas la Cour. Les décisions et arrêts rendus par
la Cour, ainsi que des informations complémentaires au sujet de celle-ci,
peuvent être obtenus sur www.echr.coe.int. Pour s’abonner aux communiqués de
presse de la Cour, merci de s’inscrire aux fils RSS de la Cour. Contacts pour la
presse echrpress@echr.coe.int
| tel: +33 3 90 21 42 08 Céline Menu-Lange (tel: + 33 3 90 21 58 77) Tracey
Turner-Tretz (tel: + 33 3 88 41 35 30) Kristina Pencheva-Malinowski (tel: +
33 3 88 41 35 70) Nina Salomon (tel: + 33 3 90 21 49 79) Denis Lambert (tel:
+ 33 3 90 21 41 09) La Cour européenne des
droits de l’homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du
Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la
Convention européenne des droits de l’homme de 1950. Commentaire : L’arrêt reproduit apporte des précisions importantes à
propos du caractère rétroactif de certaines lois par dérogation au principe
fondamental de la non-rétroactivité de la loi. La Cour rappelle que seules des raisons impérieuses
d’intérêt général peuvent justifier l’immixtion du législateur dans
l’administration de la justice. Elle juge que l’harmonisation du régime des retraites peut passer dans une certaine mesure pour une raison d’intérêt général, Mais qu’elle n’est pas suffisamment impérieuse pour
écarter les dangers inhérents au recours à une loi rétroactive. Le législateur et les juridictions françaises devront méditer
sur cette décision bienenue. |
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