Cour d’appel de Paris 23e chambre     13 juin 2007

 

 

Assemblée générale

Limitation du nombre des mandats

Époux co-indivisaire n’exerçant pas le droit de vote

Prise en compte des voix attachées au lot indivis (oui)

 

 

La 23e chambre de la Cour d’appel de Paris a rendu le 13/06/2007 un arrêt qui remet en cause la solution couramment admise à propos de la réduction des voix d’un époux indivisaire n’exerçant pas le droit de vote attaché au lot indivis, prévue par l’article 22 de la loi du 10 juillet 1965.

L’alinéa 3 de l’article 22, modifié par la loi n° 85-1470 du 31 décembre 1985 (dite loi Bonnemaison), est ainsi conçu :

Tout copropriétaire peut déléguer son droit de vote à un mandataire, que ce dernier soit ou non membre du syndicat. Chaque mandataire ne peut recevoir plus de trois délégations de vote. Toutefois, un mandataire peut recevoir plus de trois délégations de vote si le total des voix dont il dispose lui-même et de celles de ses mandants n'excède pas 5 p. 100 des voix du syndicat. Le mandataire peut, en outre, recevoir plus de trois délégations de vote s'il participe à l'assemblée générale d'un syndicat principal et si tous ses mandants appartiennent à un même syndicat secondaire.

 

La Cour d’appel juge « qu’il importe peu que M. X ait été bénéficiaire de trois mandats et Mme X d’un mandat puisqu’aussi [1] bien ce sont les époux X qui sont indivisément copropriétaires de leurs lots et non chacun de lots différents et que, dans ces conditions, le nombre des mandats doit s’apprécier au regard des dispositions de l’article 22 de la loi du 10 juillet 1965, par rapport au couple X qui a effectivement bénéficié de quatre mandats, rendant ainsi l’assemblée générale des copropriétaires nulle ; que le total des voix du couple X et de leurs quatre mandants excèdent la limite de 5 % des voix du syndicat ».

 

Elle reprend ainsi la solution exprimée confusément dans une réponse du Ministère de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer ( !!) du 9 novembre 2004 (voir la réponse).

Cette réponse a occulté la position contraire exprimée par la Cour de cassation dans un arrêt du 20 juillet 1994 (voir l’arrêt)

 

La question posée au Ministre, traitant du problème de l’extension des possibilités de représentation introduite par la loi Bonnemaison, signalait que « des mandataires peu scrupuleux (syndics professionnels ou encore gérants de biens locatifs) usent souvent de cette possibilité pour abuser de personnes rendues vulnérables par leur âge, leur handicap ou leur absence, créant ainsi une situation de népotisme au sein des assemblées générales et des conseils syndicaux ». Elle relevait plus de l’activisme consumériste que du droit de la copropriété.

La réponse fournie par le Ministère est que « les règles de l'article 22 s'appliquent à la communauté des conjoints ou à chaque conjoint individuellement si chacun est copropriétaire ». De la communauté des conjoints on est passé maintenant au « couple » ! Nous renvoyons à notre commentaire de cette réponse, que nous complétons ci-après.

 

Dans son arrêt du 20 juillet 1994, la Cour de cassation a reproché à une Cour d’appel d’avoir retenu « que les voix attachées au lot indivis doivent être prises en compte pour chacun des copropriétaires indivis et non pas pour l’un d’eux seulement et que Mmes S et N, l’une et l’autre membre du syndicat et ayant reçu chacune plus de trois délégations de vote, n’ont pu voter valablement la limite de 5 % des voix du syndicat ayant été dépassée pour chacune d’elles »

Le texte de l’article 22 alinéa 3 : « un mandataire peut recevoir plus de trois délégations de vote si le total de voix dont il dispose lui-même et de celles de ses mandants n’excède pas 5 % des voix du syndicat », ne permet d’imputer les voix attachées au lot indivis entre les époux, qu’à celui qui en dispose, c’est à dire celui qui vote.

Elle a jugé en conséquence « qu’en statuant ainsi, alors que Mmes S et N ne disposaient pas du droit de vote attaché aux lots dont elles étaient indivisément propriétaires avec leurs époux qui avaient, au nom de l’indivision, exercé ce droit à l’assemblée générale, la cour d’appel a violé le texte susvisé [art. 22] ».

 

M. Capoulade, dans son commentaire de l’arrêt, n’avait pas manqué d’en évoquer les aspects pratiques : « cette solution favorise la représentation aux assemblées générales mais elle encourt cependant la critique de faciliter les coalitions et, par voie de conséquence, les abus de majorité. »

Nous nous sommes permis d’ajouter :

Les risques de l’absentéisme sont permanents et vont en croissant.

Les risques de coalition ne sont pas négligeables mais sont statistiquement faibles.

 

C’est bien pour lutter contre les inconvénients de l’absentéisme que le Législateur, en 1985, a modifié le texte initial de l’alinéa 3 de l’article 22 qui limitait à trois le nombre de pouvoirs pouvant être détenus par un mandataire, quelle que soit sa qualité. Le projet de réforme comportait un plafond de 10 % des voix du syndicat. Il a finalement été réduit à 5 %.

Madame Kischinewski-Broquisse [2] a critiqué cette réduction. Elle a justement fait valoir que le seuil de 5 % privait les petites copropriétés du bénéfice de la réforme.

Il faut prendre l’exemple d’une copropriété de 100 lots dotés chacun de 100 / 10 000e pour constater que le plafond est de 500 voix. Un copropriétaire détenant trois pouvoirs peut alors en accepter un quatrième. Il peut voter pour 500 voix. S’il est vrai que, dans la pratique, l’importance en voix des groupes de lots est plus variable (40, 60, 80, 120 sur dix mille), les simulations mathématiques montrent bien que le tempérament apporté à la règle initial est finalement assez modeste.

 

Encore Madame Kischinewski-Broquisse ne connaissait-elle pas l’évolution du mécanisme de l’article 25-1 dont la raison d’être est en partie dans l’insuffisance des possibilités de représentation effective.

 

Quant aux coalitions et abus de majorité ? Il serait absurde d’en nier l’existence. Il est aussi critiquable d’en faire une pratique courante. Elle est négligeable à côté des inconvénients liés au caractère moutonnier de certains copropriétaires, qui les incite à suivre indifféremment, selon les cas, soit le syndic attitré de la copropriété, soit un réformateur providentiel.

 

En conclusion, il nous paraît raisonnable de considérer qu’entre les deux maux évoqués par M. Capoulade, il est facile de choisir le moindre. De toute manière l’interprétation de l’article 22 donnée par la Cour d’appel de Paris n’est conforme ni à la lettre, ni à l’esprit du texte qui est en faveur de l’extension des possibilités de représentation. Il eût été néanmoins préférable d’adopter le plafond de 10 % recommandé par des auteurs et praticiens avisés.

 

 

 

 

 

Mise à jour

25/11/2007

 

 

 



[1] Nous respectons ici l’orthographe de l’arrêt, qui adopte une élision contestable.

[2] La copropriété des immeubles bâtis Ed. 1989